Danton émigré : recherches sur la diplomatie de la République an 1er-1793

942 DANTON ÉMIGRÉ.

au prix de trois cents dollars. — Ce que je vous écris est fondé sur l'expérience.

Je n'ai ici aucun intérêt personnel en jeu; je ne suis pour rien dans les querelles des partis; je ne m'occupe que des principes. Aussitôt que la Constitution sera établie, je retournerai en Amérique, et, quelles que puissent être alors les prospérités de la France, je n’y participerai que par le bonheur d’en être informé. Mais, en attendant, je gémis de voir les affaires si mal conduites et les préceptes de la morale si peu respectés. Voilà ce qui porte atteinte au caractère de la Révolution, et qui empèchera les progrès de la liberté dans le monde.

En commencant cette lettre, je n'avais pas l'intention d'écrire si longuement; mais, puisque j'ai tant fait, je remplirai le reste du papier en y mettant ce qui me viendra à l'esprit.

Il faudrait prendre quelques mesures contre la manie de dénoncer qui règne aujourd'hui. Si chacun, par méchanceté ou par ambition, dénonce à tort et à travers, sans apporter la moindre preuve de ses allégations, il n’y aura plus ni confiance, ni autorité. La calomnie est une espèce de trahison qui mérite châtiment, comme toute autre trahison. C'est un vice privé qui engendre un mal public, puisque des calomnies sans cesse renouvelées peuvent, par l’irritation qu’elles occasionnent, faire naître la désaffection dans l’esprit de gens qui, jusqu'à présent, ont été bien disposés. Gardons-nous également d’une confiance aveugle et de soupcons mal fondés ou malveillants. Protégeons les fonctionnaires publics contre la calomnie; cela est aussi nécessaire que de les punir quand ils ont trahi ou malversé. Et je vous dirai, à celte occasion, que jusqu'à ce qu'on ait recu de meilleures informations, il sera douteux pour moi si Dumouriez a trahi par politique ou par ressentiment. Il s'est bien conduit autrefois, cela est certain; mais il n’est pas donné à tout le monde de savoir supporter l’ingratitude, et je crois qu'avant sa révolte il a beaucoup eu à se plaindre sous ce rapport.

La calomnie s’émousse et se détruit elle-même, quand elle agit sur une trop grande échelle. C’est ainsi que la dénonciation des sections contre les vingt-deux députés tombe à terre. Les départements qui ont élu ces députés connaissent mieux leur caractère politique et moral que les personnes qui les ont dénoncés. Cette dénonciation fera du tort à Paris dans l'opinion des départements, parce qu’elle semble indiquer la prétention de leur imposer l'espèce de choix qu'ils ont à faire. La plupart des connaissances que j'ai dans la Convention sont portées sur cette liste, et pourtant je sais qu'il n’y a pas d'hommes meilleurs ni de meilleurs patriotes.