Danton émigré : recherches sur la diplomatie de la République an 1er-1793

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la discorde, les ministres se succédaient avec une effrayante rapidité, et le roi partagé entre son conseil légal et un conseil clandestin ne paraissait constant que dans son système d'irrésolution et d'inertie. Les pairiotes, réunis par l'amour de la liberté, étaient séparés d'opinion sur les moyens de la défendre, l'Etat divisé en factions, qui, toutes se déchiraient avec acharnement, n'avait plus cette unité de volonté et d'action qui fait le nerf du corps politique; on ne savait plus qui des accusateurs ou des défenseurs du roi étaient les vrais amis de la Constitution et de la patrie; on ne savait ni pour qui ni pourquoi l’on allait combattre, lorsque la déclaration la plus insolente par laquelle l’orgueil du despotisme ait jamais outragé le droit des gens et la souveraineté des nations apprit la prochaine arrivée de l’armée prussienne; elle s’'avançait, en effet, vers nos frontières, guidée par une troupe de rebelles, au nombre desquels on comptait cette ancienne maison militaire du roi, qui venait, à sa solde, faire la guerre à la France. L'armée, séparée en une multitude de pelotons disséminés sur une immense étendue, ne paraissait offrir aucun moyen d'arrêter la marche des ennemis; les clefs du royaume déposées en des mains perfides devaient passer dans celles du duc de Brunswick. L’invasion semblait assurée, et il est hors de doute qu'en moins d’un mois le roi de Prusse füt entré en triomphe dans la capitale de l'empire, si le peuple, par une de ces impétueuses et irrésistibles saillies qu’excite un noble désespoir et que la première de toutes les lois, celle du salut de la patrie, autorise, n'eût déconcerté les trahisons de la cour et renversé les espérances des despotes coalisés.

« Le pouvoir exécutif fut donc suspendu dans les mains du roi et le Corps législatif reconnaissant que la Constitution était désormais impuissante pour sauver la liberté, recourut à la volonté suprême du peuple, et l’invita à exercer immédiatement ce droit inaliénable de la souveraineté reconnu et respecté par l'acte constitutionnel, et que nulle autorité ne peut modifier ni restreindre. ‘

« La nation a fait ce qu’elle seule pouvait faire, ce que lui prescrivait l'impérieuse nécessité du salut de la patrie. De nouveaux représentants, investis de sa toute-puissance, ont été envoyés par elle, chargés d'assurer à la France les trois dons les plus précieux que le ciel puisse faire à la terre, la liberté, les lois et la paix. Instruite par une funeste expérience et ne voulant plus faire dépendre le sort de vingt-six millions d'hommes des vices ou des vertus d’un seul, la Convention nationale a prononcé l'abolition de la royauté, et ce décret, applaudi par tout l'empire, ôtant aux troubles tout prétexte et tout objet aux divi-