Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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patriotisme ardent et la bonne foi ont rendu la séduction si facile, que deviendriez-vous ? Quelles seraient vos ressources ? Quelles mains essuieraient vos larmes, et porteraient des secours à vos familles désespérées ?.. [riez-vous trouver ces faux amis, ces perfides flatteurs, qui vous auraient précipités dans l’abîme? Ah! fuyez-les plutôt, redoutez leur réponse ! Je vais vous l'apprendre. Vous leur demanderiez du pain, ils vous diraient : Allez dans les carrières disputer à la terre quelques lambeaux sanglants des victimes que nous avons égorgées ! Ou: Voulez-vous du sang ? Prenez, en voici! Du sang et des cadavres, nous n'avons pas d'autre nourriture à vous offrir ! (1) »
Ce discours, l’un des plus beaux qui honorent la tribune française, était, en réalité, la plus habile et la plus utile défense qui pût être prononcée en faveur du malheureux Louis XVI : il rendit l'espérance aux amis du roi, qui crurent pouvoir, au moment du vote, compter sur la voix de Vergniaud. Leur colère et leur indignation durent être vives, lorsque cette attente se trouva déçue. Mais il n'est point vrai que Vergniaud eût engagé son vote (2). Il jugeait le roi coupable, et, quelle que fût la décision de l’Assemblée, il avait promis d’y obéir. Lorsque l'appel au peuple fut repoussé, il vota la mort; et ce fut lui qui, comme président, eut la douleur de prononcer la fatale sentence.
(4) Séance du 31 décembre 1792. (Moniteur du 2 janvier 1795.)
(9) I1 est des calomnies qui sont, en vérité, accueillies par l'histoire avec une complaisance trop facile. Telle est l'anecdote du Conventionnel Harmand (de la Meuse), au sujet du vote de Vergniaud. Désireux de faire oublier son passé, ce patriote tourmenteur de Charlotte Corday, devenu fonctionnaire dévoué de l'Empire et de la Restauration, crut se grandir lui-même et se réhabiliter en rapetissant et déshonorant des hommes dont, mieux que personne, il connaissait le courage. C’est ainsi qu’il s'est attaqué à Vergniaud. Le reproche de lâcheté, adressé à un tel homme et sortant d’une telle bouche, est singulier. M. Michelet (Histoire de la Révolution Française, t. V, p.252), a éloquemment défendu Vergniaud. M. Chauvot (Histoire du Barreau de Bordeaux, p. 247 et suiv.) a mieux fait : il a démontré avec le Moniteur, avec les faits, l'inexactitude flagrante et l’absolue impossibilité du récit d'Harmande