Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

Ne

douce se révèlent à nous tout entières, et qui, dites à la Convention, nous paraissent si étranges : « Quelques hommes ont paru faire consister leur patriotisme à tourmenter, à faire verser des larmes: j'aurais voulu qu'il ne fit que des heureux. La Convention est le centre autour duquel doivent se rallier tous les citoyens; peut-être que leurs regards ne se fixent pas toujours sur elle sans inquiétude et sans effroi; j'aurais voulu qu’elle füt le centre de toutes les affections et de toutes les espérances. On à cherché à consommer la révolution par la terreur ; j'aurais voulu la consommer par l'amour. Enfin je n’ai pas pensé que, sem blables aux farouches ministres de l’inquisition, qui ne parlent de leur dieu de miséricorde qu'au milieu des büchers, nous dussions parler de liberté au milieu des poignards et des bourreaux (1). »

« Letalent de Vergniaud, sa bonne foi, sa touchante éloquence, avaient captivé jusqu'à ses ennemis (2).> Ce fut son dernier discours et son dernier triomphe.

Marat, envoyé devant le tribunal révolutionnaire, y fut absous à l'unanimité : il rentra à l’Assemblée en vainqueur, menaçant de la colère des sans-culottes les traîtres qui avaient osé calomnier l’Ami du peuple. Il y trouvait Robespierre plein lui-même de rancune et altéré de vengeance. Son orgueil humilié pouvait-il pardonner à ceux dont la supériorité l'écrasait? Ces deux hommes, ces deux haines devaient facilement se comprendre et s'unir.

Restait Danton, dont la popularité et l'influence étaient grandes encore à Paris. Danton eût voulu sauver les Girondins. Il admirait l’éloquence de Vergniaud ; et, lorsqu'à la tribune il faisait appel au sens politique de ses adversaires, c'était vers lui qu'il se tournait. De plus, il était pénétré de la nécessité d'arrêter la Révolution dans la voie

(1) Séance du 40 avril 1795. (Moniteur des 43 et 14 avril.) (2 Thiers, Histoire de la Révolution française, 1. IV, p, 58.