Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
165 tremblante d'émotion, « Nous sommes innocents, peuple, on vous trompe! » crient avec force plusieurs accusés (1). Le lâche Boïleau, indigne de mourir avec ceux qu'il renie croit se sauver en se disant Montagnard. Ducos et Fonfrède, stupéfaits et indignés, maudissent leurs juges et les menacent. Puis Fonfrède se retourne vers Ducos, et, l’enlacant dans ses bras : « Mon ami, lui dit-il, c'est moi qui te donne la mort! — Console-toi, lui répond Ducos, qui le tient embrassé et mêle ses larmes à celles de son frère, consoletoi, nous mourrons ensemble. >» Valazé tire un poignard de sa poitrine, et tombe, libre et heureux d'échapper au bourreau. Sillery jette ses béquilles, et s’écrie, le visage souriant : « Voilà le plus beau jour de ma vie! >» Vergniaud seul semble ne prendre aucune part à ce qui se passe autour de lui; ni la lecture du jugement, ni les cris confus du peuple, ni la douleur, ni la joie, ni la mort de ses amis, rien ne peut le tirer de sa tranquille rêverie, ni lui faire oublier un instant son impassible et silencieux dédain.
Les condamnés rentrèrent à la Conciergerie, pour y passer leur nuit suprême. Ils la consacrèrent à un ban-
(1) Le Moniteur etle Bulletin du Tribunal Révolutionnaire prétendent que les Girondins, pour exciter les assistants à se soulever en leur faveur, leur jetèrent des assignats, en criant : « À nous, mes amis ! » et que l'auditoire indigné ne répondit que par les cris de « Vive la République ! » C’est là une calomnie des feuilles officielles, dont il est aisé de comprendre le but, et que certains historiens ont accueillie trop légèrement. M. Campardon, dans son intéressant ouvrage intitulé Ze Tribunal Révolutionnaire de Paris (tome Le, p. 158), fait observer avec raison que Vilate, qui assistait aux débats, et en a laissé un récit (auquel nous avons emprunté plusieurs des détails donnés plus haut), ne parle pas de ce fait, et que le procès-verbal de l’audience, conservé aux archives nationales, carton W 292, dossier 204, « est également muet . sur cet incident, qu'il eût assurément noté s’il s'était passé. » Ajoutons que les accusés étaient, chaque matin, soigneusement fouillés, qu'ils avaient dû l'être avant d’être amenés à l'audience, et que, tous leurs biens étant frappés de confiscation, il seraït étrange qu'on eût laissé en leur possession des assignats. — M. Vatel pense que, si les accusés ont jeté, en effet, quelque chose au peuple, ce pouvaient être les défenses qu'ils avaient préparées. et n'avaient pu prononcer; et ce serait là pour lui une façon d'expliquer que les notes de la défense de Vergniaud aient pu être trouvées entre les mains de Chabot.
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