Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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quet fraternel, à des entretiens familiers : rivalisant de scepticisme, de gaîté et d'esprit, ils trompaient les rigueurs de la destinée, et semblaient vouloir oublier la mort qui ne les oubliait pas. Ces jeunes hommes, se dérobant leur propre douleur, en face du cadavre de Valazé, en face de leurs propres cadavres, trouvaient la force de rire et de railler encore.
Quant à Vergniaud, sérieux sans abattement et sans tristesse, il aurait cru se manquer à lui-même et profaner son génie, s'il n'avait consacré à de plus hauts et plus dignes objets les derniers efforts de son intelligence et les derniers moments de sa vie. Charmant encore ses amis par sa divine éloquence, sa parole empruntait de la mort une grandeur nouvelle et une solennité inconnue. Tel Socrate mourant entretenait ses disciples, et, trouvant dans le trépas même du juste l’irrésisüble et suprême preuve de l’immortalité de son âme, semblait vouloir les arracher avec lui à cette terre à laquelle déjà il n’appartenait plus. Il leur parlait de la patrie bien-aimée qu'ils avaient servie, de ses malheurs, de son avenir ; de la liberté, qu'ils avaient voulu réconcilier avec l’ordre et les lois ; il leur parlait de leur œuvre, imterrompue à travers le sang et les larmes, à laquelle d'autres, après eux, se dévoueraient. Chimère ! disent quelqueWe O Vergniaud ! aurais-tu, toi aussi, douté à ta dernière heure? Aurais-tu regretté ton sacrifice ? Aurais-tu pleuré sur ta vie, et sur ta jeunesse, et sur ces destins si brillants, tranchés par le fer du bourreau? Dis-nous tes dernières pensées ! Dis-nous ton suprême espoir ! Dis-nous, Ô martyr ! que si c'est là une chimère, elle est si séduisante et si douce, que sur l’échafaud on y croit encore, qu'on l'aime ét qu’on la bénit en mourant pour elle !
Cependant le fidèle domestique de Vergniaud, arrêté, lui aussi, comme suspect, lui aussi détenu à la Conciergerie, avait pu pénétrer jusqu'à son maître, pour lui prodiguer, avec ses derniers soins, les dernières marques d’un