Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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avocat, un défenseur officieux ! Au reste, dédaigneux et impassible, il semblait assister à des débats auxquels il eût été étranger. Pourtant, lorsque Chabot eut l'impudeur, à l’occasion du vol du garde-meuble, de jeter quelques soupcons sur lui et ses amis, cet homme qui attendait la mort ne put supporter un pareil outrage. « Je ne me crois pas réduit, s’écria-t-il, à l’humiliation de me justifier d’un vol. » Se réveillant alors de sa torpeur, il prononça, en réponse aux dépositions des témoins vendus qu’on ne rougissait pas de produire contre lui, quelques paroles dont l’éloquence enflammée produisit une impression si profonde, qu'il fallut faire rendre un décret, — et c’est toi encore, Robespierre, quien répondras devant l’histoire, —accordant aux jurés le droit d'arrêter les débats en se déclarant suffisamment éclairés.

Lorsque la fatale sentence est prononcée, un cri de douleur se fait entendre, un homme tombe sans connaissance, — ce n'était pas un condamné. Camille Desmoulins, ennemi des Girondins par ses opinions, naguère lié avec plusieurs d’entre eux, avait suivi avec intérêt, avec angoisse, les débats de ce triste procès. L'infortuné jeune homme, cœur généreux, esprit léger, apprenait en ce moment d’une manière bien cruelle, que le mal que fait une plume, elle est souvent impuissante à le réparer! Au moment où l'accusateur public requérait la peine suprême, pâle et défait plus qu'aucun de ceux dont on demandait la tête : « Je m'en vais, disait-il, je veux m'en aller ; » et le malheureux ne pouvait sortir. Et maintenant il s’écriait, hors de Lui : « Ah! mon Dieu, mon Dieu ! c'est mon Brissot dévoilé, c'est moi qui les tue! » Il se retira désespéré, mais éclairé enfin, et méditant déjà son Vieux Cordelier, qui le tuera en l'immortalisant.

Brissot pâlit au mot de mort, il laisse tomber ses bras, sa tête se penche sur sa poitrine ; (rensonné essaie en vain de faire entendre, sur l'application de la loi, une voix