Étude historique et critique de l'impôt sur le sel en France : thèse pour le doctorat

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ne pas user pour saler son cochon du sel que la ménagère a pu économiser sur la consommation journalière? Maïs si le commis passe et parvient à découvrir la viande salée, procès-verbal est dressé sous prétexte que ce sel ne doit servir que pour les aliments chauds.

Les pauvres ne peuvent plus ‘saler leur cochon; « ils ne salent même leur pot qu’à demi et souvent point du tout »; dans bien des comestibles, l'intérêt fait substituer au sel des matières très nuisibles à la santé (1): les habitants du littoral, au risque de contracter des maladies parfois dangereuses, vont en cachette prendre de l’eau de mer pour saler leur potage, car malheur, écrit l’intendant Moreau de Beaumont, à celui qui s’autorisant de la liberté naturelle aurait été prendre de l’eau de mer pour « la mêler avec de l’eau douce et l'aurait employée à faire cuire les quelques légumes qui sont souvent toute sa subsistance » (2). Les malheureux que l’on saisissait et exécutait pour n’avoir pas acheté de sel n'avaient même pas le plus souvent de quoi se procurer du pain. Aussi l’impression morale laissée par cet impôt était-elle très profonde :le seul mot de gabelle suffisait à mettre en émoi les pauvres paysans. Parfois les redevables émigrent devant les gabelous; quand ceux-ci se présentent pour faire leurs visites, ils ne trouvent plus d'habitants: jusqu’à 19 familles abandonnèrent ainsi un village de la Thiérache pour se retirer à l'étranger (3).

(1) Paraisse d'Echarcon, A. P. T. IV, p. 498, art. 8. (2) Mémoires. T. III, p. 49. G) Correspondance des Contrôleurs généraux. T. I, n° 121.