Étude sur les idées politiques de Mirabeau
118 F. DECRUE.
les comtes de Narbonne et de Ségur, Rœderer, Cabanis, enfin ses collaborateurs, comme Dumont, rendent justice à l'honnêteté de ses intentions. Les historiens modernes, comme MM. Droz, Thiers, Lanfrey, Michelet, Mignet, H. Martin, ont souscrit à ce jugement. Nous ne prononcerons pas contre Mirabeau un verdict plus sévère que celui de ce tribunal de juges impartiaux.
Enfin il donne lui-même la preuve de sa bonne foi. C’est moins en qualité de tribun du peuple que de conseiller du roi qu'il a demandé à la postérité de le juger. La postérité, après la publication de ses notes à la cour, ne peut qu’admirer ses talents politiques et reconnaître qu’il a su joindre, dans la crise révolution naire, la sagacité qui prévoit à l’habileté qui prévient. Il a dépassé en effet les hommes de la Constituante, parce qu'il fut, non seulement un orateur incomparable, mais un véritable homme d'État, doué à la fois, dans les choses de la politique, de la science propre à fonder un système et de l’art nécessaire pour l'appliquer. Car il a entrepris l’étude des grands problèmes que l’on cherche encore à résoudre aujourd’hui, si bien qu’il mérite d’être considéré comme l’auteur du régime constitutionnel moderne.
Il partait du principe qui en fait la base : c’est que tous les pouvoirs, dérivant d’une source commune, la nation, doivent se séparer les uns des autres, dès qu’ils entrent en activité. Mirabeau tirait ce principe des deux grands philosophes politiques du xvine siècle : il empruntait à Rousseau la théorie de l'origine populaire des pouvoirs, à Montesquieu celle de leur séparation. Mais, comme rien ne lui est plus étranger que les théories absolues et qu'il se laisse toujours guider par son sens pratique, tout en sauvant le principe de la séparation des pouvoirs, il maintient entre eux des rapports nécessaires.
Il demande que le pouvoir exécutif soit affranchi des influences extérieures et qu’il garde la responsabilité de ses actes. Aïnsi, le gouvernement ne dépendra pas d’une majorité parlementaire capable de le détruire, sans raison, du jour au lendemain. Il doit être puissant. Mirabeau trouve que les conditions de ce gouvernement sont remplies, d'une part : au moyen d'une monarchie héréditaire et inviolable, disposant de la force publique au dedans et au dehors, propre à faire profiter la nation de son éducation politique antérieure et à lui conserver de fortes traditions d’État ; d'autre part : au moyen d’un corps de ministres, agents du pouvoir exécutif, jouissant d’une pleine latitude dans l'administration