Gentilshommes démocrates : le vicomte de Noailles, les deux La Rochefoucauld, Clermont-Tonnerre, le comte de Castellane, le comte de Virieu
LE VICOMTE DE NOAILLES 7
qu'il s’est crânement battu, car c’est lui que Rochambeau délègue le soir auprès du général anglais pour négocier la capitulation; mission de confiance, où l'honneur d’une armée et celui d’une nation sont en jeu, qu’un chef ne confie qu’à un juge éprouvé. Ce jour-là, Noailles a bien mérité de l'Amérique et de la France. Il a 25 ans; déjà il est un officier avec lequel on compte et sur lequel on peut compter.
Aussi bien, certains traits de sa vie militaire à ces mêmes dates disent quel soldat il était. Un capitaine du Soissonnais avaitreçu au travers de la poitrine une balle qui tua un grenadier derrière lui ; il ne pouvait se rétablir et était venu à Paris solliciter la croix de Saint-Louis. Couvert de blessures, il se traînait depuis quelques mois dans les bureaux et n'obtenait que des promesses. Le vicomte de N oailles croise au Wauxhall son ancien capitaine, il court à lui, le serre dans ses bras et lui demande ce qu'il fait à Paris :
Je souffre horriblement de ma blessure, Monsieur le Yicomle, et je sollicite la croix.
Monsieur, dit Noailles {il commandait alors le régiment des dragons du roi), je suis inconsolable de ne pas vous avoir vu plus tôt ; je vais très peu à Versailles et vois fort peu les ministres; mais j'aurai encore assez de crédit pour vous faire rendre justice; je me la fais à moi-même dans ce moment (mettant son ruban dans sa poche) et ne veux pas porter cette croix devant vous, aussi longtemps que vous ne l’aurez pas (1).
(4) Tres, t. I, ch.xmr, p. 301.