Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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le doublement du Tiers de son corollaire logique : le vote par têtes dans une assemblée unique, tout se décidant à la majorité des voix individuelles. Pour les Etats généraux, Necker voulail, au contraire, maintenir le principe du vote par ordre ou, du moins, s’il manifestait une prélérence pour le vote par têtes, il ne voulait le devoir qu’au consentement volontaire el concordant des trois ordres. « Cette question (le doublement du Tiers), la plus importante de toutes, divise en ce moment le royaume. L'intérêt qu'on y attache est peut-être exagéré de part et d'autre; car, puisque l’ancienne Constitution ou les anciens usages autorisent les ordres à délibérer et à voter séparément aux États généraux, le nombre des députés dans chacun de ces ordres, ne paraît pas une question susceptible du degré de chaleur qu’elle excite. Il serait sans doute à désirer que les ordres se réunissent volontairement dans l'examen de toutes les affaires où leur intérêt est absolument égal et sem blable, mais, cette détermination même dépendant du vœu

direct des trois ordres, c’est de l'amour du bien de l'État qu'on

doit l’attendre! ».

Sans doute, étant donnés les principes de notre ancien droit public, cette opinion était soutenable par des arguments juridiques et subtils. Mais pour la masse des citoyens, qui ne saisit que les idées simples, le doublement du Tiers entrainait lorcément le vote par tèles, car sans cela il n'avait vraiment pas sa raison d’être. Ainsi le voulait la logique des choses et Necker s’épuisait en vain à montrer que le doublement conservait des avantages réels, même avec le vote par ordre?.

C'était donc une controverse constitutionnelle, un débat ardent et passionné que soulevait d’abord le gouvernement. En accordant le doublement du Tiers et en refusant, en droit, le vote par têtes, il ouvrait la lutte entre les ordres dès l'ouverture des États. Le refusait-il formellement, d’ailleurs? Le passage plus haut cité du rapport de Necker parait décisif en ce sens ; il contient la même doctrine que proclamera le 23 juin 1789 la Déclaration du roi concernant la présente tenue des États généraux‘;

1. Rapport du 27 décembre 1788, Duvergier, t. [, p. 5. 2. Duvergier, t. L p- 5-7. — 3. Duvergier, t. [, p. 24.