Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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état engagea la bataille, le lendemain même de l'ouverture des États. Avec une grande habileté, il voulut par là faire résoudre à son avantage la question du vote par têtes, implicitement el sans la poser. Le 6 mai il prit la résolution suivante: « Les députés des communes, assemblés dans le lieu destiné à recevoir les députés des trois ordres, ayant été informés que la noblesse et le clergé s'étaient retirés chacun dans une chambre particulière pour s’y occuper séparément de la vérification de leurs pouvoirs, ont décidé d'attendre, pendant quelques jours, les ordres privilégiés et de leur laisser le temps de réfléchir sur l’inconséquence du système d’une séparation provisoire el d'autant plus révoltante que tous les députés ont un intérêt égal à la vérification des pouvoirs de chacun d'eux”. »

Le raisonnement, quoique subtil et contraire aux précédents, était fait pour séduire les esprits. Tous les députés, qu'ils votassent par ordre ou par têtes (et l’on réservait la question en apparence), n'étaient-ils pas membres d’un même grand corps ) N'étaient-ils pas appelés à voter, sous une forme ou sous une autre, pour former des majorités qui pourraient les lier et les obliger tous? Ils étaient donc solidaires les uns des autres et tous étaient intéressés à la vérification des pouvoirs de chacun d’eux. Les monarchistes libéraux admirent euxmêmes le bien-fondé de cette prétention. C'est l'avis de Marmontel : « Le parti des deux premiers ordres, déjà trop affaibli, s'affaiblit encore en prenant mal son point d'appui. Le tiers. pour l'engager à délibérer en commun, commença par lui demander la vérification des pouvoirs ; et il était évidemment fondé à vouloir que ce füt ensemble et en commun que s'en fit l'examen: ne fallait-il pas se connaitre? En quoi s'engageait-on en se communiquant les titres de légation ? Chacun, après cet examen, n'était-il pas libre encore? Les deux premiers ordres refusèrent. Au lieu d'attendre le moment et l'occasion de prendre un poste ferme, ils crurent pouvoir, pied à pied, disputer le terrain : et une mauvaise difficulté en débulant fut pour eux une fausse position, où ils ne purent se soulenir?. » Rivarol dit de son côté: « Le tiers état resta dans la

1. Duvergier, &. L p. 20. — 2. Mémoires, &. IT, p. 207.