Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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tous. Le gouvernement avait laissé le mouvement s'engager à fond dans une voie où il ne pouvait plus reculer. La charte octroyée n'était plus possible : c'était maintenant de l’Assemblée que devait venir la Constitution. Mirabeau le disait fort clairement dans sa Treizième lettre à ses commettants : « N'était-il donc pas inutile, pour arriver à un tel but, d’assembler les représentants du peuple ? Si le monarque est libre de faire des lois d’après les cahiers des différents bailliages, les ministres n'avaient qu'à se les faire adresser par la poste ? Ou plutôt qu’avaient-ils besoin de cette formalité? Ne pouvaient-ils pas continuer le rôle de législateurs, qu'ils ont joué jusqu'à ce moment ?... Persuadés des intentions bienfaisantes de S. M. leur dernière ressource est de la tromper sur les moyens d'exécution, de lui persuader qu'elle n’a besoin que d'elle même pour opérer le bien. Si cependant, lors du règlement (janvier 1789), dans un temps où le roi était incontestablement Législateur provisoire, ils n’ont pas crû qu'il leur füt permis de déterminer le mode des délibérations, de quel droit (le) voudraient-ils aujourd'hui, qu'il existe une Assemblée législative, pour usurper la qualité de faire des lois qui ne peut ni ne doit leur appartenir) »

Voici comment le procès-verbal, imprimé par ordre de l’Assemblée nationale (n° 5), raconte l'épisode décisif: « Peu de temps après la retraite du roi, une partie de MM. du clergé et MM. de la noblesse s'étant retirés, le grand maitre des cérémonies s’est approché de M. le Président, et lui a dit qu'il avoit entendu l’ordre du roi de se retirer. M. le Président a répondu qu'il ne pouvait séparer l'Assemblée qu’elle n’eût délibéré librement sur ce sujet. Le grand maître des cérémonies a dit qu'il allait rendre compte de cette réponse au roi. » Mais celte fois encore ce ne fut pas, on le sait, le président qui parla le premier : ce fut Mirabeau qui dit le mot décisif. D'ailleurs, dans sa forme traditionnelle, l'apostrophe à M. de Dreux Brezé : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes », est, comme le mot du général Cambronne, une admirable cristallisation due au génie populaire. Voici comment, au lendemain des faits,