Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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qu'on en dise: il n'ya que des Européens. Tous ont les mêmes goûts, les mêmes passions, les mêmes mœurs!'. » On ne songeait point, pour le moment du moins, à Phumanité tout entière. Mirabeau, qui fut à l’Assemblée l’un des principaux ouvriers de la déclaration des droits, œuvre d’ailleurs collective, disait qu'aucun des membres du comité « n’avoit pensé à déclarer les droits des Cafres, ni ceux des Esquimaux, pas même ceux des Danois et des Russes? ».

Mais pour Morris il y avait autre chose: le danger de voir les démagogues se servir de ces axiomes généraux pour ruiner les lois et réclamer l’absolue liberté et la complète égalité: c’est aussi le danger que signala plus d’un orateur à l'Assemblée constituante. Voici ce qu'il écrivait en janvier 1793 à Lady Sutherrland dans une curieuse pièce de vers anglais sur les effets produits par le manifeste de Brunswick, dans laquelle il établit un dialogue, ou chant alterné, entre lui et sa charmante correspondante. Il lui fait dire, à propos des Sans-culottes : « Ils ont préparé la seconde Révolution. Ce sont eux qui ont conduit cette nation abandonnée hors du chemin du salut, pour suivre ce schéma fantastique, les droits de l'homme ; un rêve d’écolier, où des mots vagues et ambigus conduisent aux plus sanglantes conséquences ?. » Il va si loin, en ce sens, qu'il conteste dans une conversation avec Marmontel, jusqu'à l'égalité devant la loi, même l'égalité des peines: « Après diner il expose la méthode par laquelle il conteste la doctrine des droits de l'homme qui vient de faire ses dents, en demandant une définition du mot droit, et de cette définition il tire une conclusion contre la prétendue égalité des droits. Il admet pourtant que tous sont égaux devant la loi et sous l'empire de la loi. Je conteste la position qu'il prend et lui fais remarquer que là où il y à une grande inégalité de rang et de fortune, cette égalité de traitement légal détruirait toute proportion et toute justice. Si la punition est une amende, elle écrase le pauvre et ne touche pas le riche. Si c'est un châtiment corporel, il dégrade

1. Considérations sur le gouvernement de la Pologne, ch. ur. 2. Courrier de Provence, n° xxix, p. 22. — 3. T. II, p. 28.