Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

146. GOUVERNEUR MORRIS

une large mesure, que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen était surtout la condamnation solennelle des principes de l’ancien régime, prononcée par la Révolution, l’exposé des principes d’après lesquels allait être reconstruite la société nouvelle. Une fois la construction terminée, le plan n'avait plus d'objet. Pour conserver ce frontispice, cet ensemble d'axiomes qui ne valaïent que par l'adhésion spontanée et universelle des citoyens, il fallait avoir cette foi profonde dans la puissance de la vérité et de la raison, qui distingue les hommes du xvrr° siècle.

Morris, d'ailleurs, qui ne nie jamais la réalité, n’hésite pas dans la suite à reconnaître l’effet prodisieux de la déclaration sur les contemporains. Le 5 novembre 1792 il écrit à Carmichael qui alors est à Madrid: « Il est vrai que les armes françaises sont couronnées de grands succès. Les villes tombent devant elles sans coup férir et la Déclaration des droits produit un effet au moins égal à celui des trompettes de Josué!. » Le 25 janvier 1793, écrivant à Jellerson, à qui il raconte la mort de Louis XVI, il dit: « Je joins à ma lettre une traduction d’une lettre de Suède que j'ai reçue du Danemark. Vous y verrez que les principes Jacobins sont propagés avec zèle de toutes parts ?. »

Quant à la Constitution même, l'organisation et les rapports des pouvoirs publics, Morris signale tout d'abord deux vices essentiels : l'Assemblée unique et le veto simplement suspensif. Le 13 septembre 1789 il arrive à Paris, revenant de Londres: « Vers sept heures j'arrive à l'hôtel Richelieu. Je m'habille et vais au club. J’apprends que l'Assemblée nationale a adopté une seule Chambre législative et un veto suspensif au profit du roi. C'est prendre le grand chemin qui conduit à l'anarchie, à la pire de toutes les tyrannies, le despotisme d’une faclion dans une Assemblée populaire #. » Le 16 il dine cher M. de Montmorin : « Après diner nous avons une conversation politique avec quelques députés, dans laquelle j'essaie de leur montrer l’absurdité de leur veto suspensil'et la tyrannie probable de leur Chambre unique. Je ferais mieux de laisser cela, mais le zèle l'emporte

1 LPUEE ep AT OT, P:-92, "3° TJ, p. 154.