Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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seulement 3 000 livres d’arrérages pour le moment. D'ici au 1° juillet prochain, la liste doit être examinée et les absents ne recevront rien jusqu'à leur retour !. Je vais chez Mme de Staël, où le sujet est discuté très amplement. Je leur dis que si les privilèges étaient abolis, c'était la route ouverte à la destruction de toute propriété. Cela soulève une dispute sans fin, dans laquelle elle montre beaucoup de talent et peu de bonne éducation. Les opinions sont diverses, mais elles seront toutes pareilles. J'ai émis cette idée pour faire impression sur certains qui m'ont, je le-sais, appelé aristocrate parce que je n'approuve pas leurs sentiments. Je trouve Mme de Flahaut au désespoir au sujet de la réduction des pensions ; mais elle a très peu de motifs. Je parviens à l'en convaincre, ou, plutôt, elle était convaincue par avance: mais elle dit qu'elle criera très haut. Ses domestiques ce matin sont venus lui apporter l'assurance que, s’il est nécessaire, ils se mettront au pain et à l'eau les six mois prochains. L'évêque d’Autun arrive... il dit que le décret concernant les pensions n'aurait pas passé si ce n'avait été de l'abbé de Montesquiou. Je dine chez M. de Montmorin. Les pensions naturellement fournissent le sujet de la conversation. Je traite les décrets comme une violation du droit de propriété. Il paraît être ainsi considéré, mais pas à un point de vue aussi étendu que celui où je me place. J’établis un parallèle entre cet acte et l'indemnité donnée par la Grande-Bretagne aux loyalistes américains. On considère que l’absence d’un grand nombre de membres, qui étaient allés diner, a été cause de ce décret ?. » Morris en cela exagérait clairement. Les pensions dont il s’agit étaient presque toutes des faveurs, des grâces que le roi faisait aux courtisans. Même selon notre ancien droit français, les grâces et privilèges de cette espèce pouvaient être révoqués par le roi, non pas arbitrairement et ad nulum, mais pour juste cause. Or en janvier 1790, le trésor étant vide, il n’y avait que trop juste cause.

Tous les privilèges, ni même toutes les propriétés ne commandaient pas aux yeux de Morris le même respect. Ilne

1. Décret des 4, 5 et r4 janvier 1790. — 2. T. I, p. 264.