Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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Il me dit qu'il lui est difficile de concéder ce point. Là finit notre entretien !. » :

Nous touchons là à l’un des points fondamentaux de la science politique de Gouverneur Morris. L'application qu'il en fait à la France ne laisse pas d’abord que d’étonner. Il n’a, nous l'avons vu, qu'une estime très médiocre pour la noblesse française prise en bloc? : il ne lui reconnaît ni la force, ni les talents, ni même la richesse. Pour lui donner une représentation propre, l'une des deux chambres, sa raison n’est point celle qu'inspire Montesquieu, dont on se rappelle le passage célèbre. « IL y a dans l'État des gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs : mais s'ils étaient confondus parmi le peuple, s'ils n'y avoient qu'une voix comme les autres, la liberté commune seroit leur esclavage et ils n'auroient aucun intérêt à la défendre, parce que la plupart des résolutions seroient contre eux. Leur part à la législation doit donc être proportionnée aux autres avantages qu'ils ont dans l'État ; ce qui arrivera s'ils forment un corps qui ait le droit d’arréter les entreprises du peuple, comme le peuple à le droit d'arrêter les leurs *. » Ce n’est pas dans l'intérêt de la noblesse que Morris veut pour elle ce privilège : c’est dans l'intérêt seul de la nation et de la liberté. Sa raison dominante (bien qu'il la produise) n’est pas non plus qu'une gradation de rangs est nécessaire dans la monarchie constitutionnelle, qu'il n'est pas éloigné de regarder avec son ami Hamilton, comme la meilleure forme de gouvernement : « 11 savait, écrira-t-il plus tard en parlant des États-Unis, qu'une monarchie limitée, en supposant qu'on püt l'établir, ne pourrait pas se maintenir dans ce pays. [Il savait aussi qu'on ne pourrait pas l’établir, parce qu'il n’y a pas parmi nos concitoyens cette gradation de rangs qui est essentielle à cette espèce de gouvernement.»

Mais ce citoyen des États-Unis déteste et condamne la démocratie, la loi du nombre, le règne de la multitude. Il est pour l'aristocratie et c’est comme un gouvernement aristocratique,

1. T. I, p. 549, 24 juin 1792. — 2. T. I, p. 15 ; ci-dessus, p. 142. 3. Esprit des lois, L. XI, ch. vr, — 4. T. II, pe 525.