Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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les talents les plus éminents qui s’y étaient révélés et gouvernant d'accord avec la majorité. Deux hommes le comprirent et agirent en conséquence: Mirabeau et Gouverneur Morris.

On sait qu'à cette époque Mirabeau s’efforça d'entrer au Ministère. Voici comment le comte de La Marck, avec lequel il avait dès lors des relations politiques, résume les faits dans les notes publiées par M. de Bacourt: « Les billets échangés entre Mirabeau et moi au mois d'octobre 1789 établissent bien quelle était alors sa situation. Des embarras pécuniaires entravaient sa marche. Les avances que je lui faisais le soulageaient, mais ne guérissaient pas le mal. Il fallait à Mirabeau un grand secours : pour l'obtenir et surtout pour arriver à une position qui le mit à même de développer tous ses Lalents, il chercha à entrer dans le ministère. La Fayette fut confident de ses projets ; une fois même il proposa à Mirabeau de lui remettre une somme de 50 000 francs, prise sans doute sur la liste civile du roi, dont La Fayette disposait alors ; mais cette somme ne fut jamais remise. Il lui proposa aussi une ambassade, qui ne devait être qu'un acheminement vers un ministère. Mirabeau repoussa toutes ces offres; les circonstances lui paraissaient assez graves pour qu'il espérât se rendre bientôt le seul homme capable de soutenir l'édifice social prêt à crouler.. Mirabeau se préparait à attaquer le ministère ; M. Necker devrait se retirer ; la commotion serait sans doute très forle; mais. c'est ce que Mirabeau désirait; car lui seul était alors capable d’affronter la tempête*. » Tout cela va être confirmé par Morris; quant au rôle que joua ce dernier, nous allons voir la suite entière de ses opérations.

Mais il se trouva que l’action de ces deux hommes, au lieu de s’appuyer, se contraria. Morris avait contre Mirabeau une haine féroce. Ille méprisait à raison de ses mœurs et dans son Journal il le traite avec une dureté extrême, presque avec grossièrelé. Quand il parle de lui, les épithètes: canaille. coquin (rascal, scoundrel) reviennent fréquemment sous sa

1 Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Mark pendant les années 1789, 1790 et 1797, recueillie, mise en ordre et publiée par M. de Bacourt. Bruxelles, 1851, t. I, p. 93.