Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

182 i GOUVERNEUR MORRIS

“poussant hardiment son entreprise, voulut faire résoudre l question au grand jour et faire établir -constitutionnellement un ministère parlementaire. Le 6 novembre 1789 il demanda à l’Assemblée de décider que les ministres du roi seraient admis à ses Séances, qu'ils seraient invités à y assister et collaboreraïient à ses travaux. Comme rien n’empéchait alors de les prendre parmi les membres de l'Assemblée, c'était le gouvernement parlementaire établi. Mais la proposition rencontra une opposition formidable, dont Lanjuinais se fit le principal interprète. Ce qu'il invoqua ce furent les principes, la séparation des pouvoirs, le danger qu'il y avait à permettre à la Cour, par l'appât d’un portefeuille, de séduire les défenseurs du peuple dans l’Assemblée. Mais en réalité, les pourparlers engagés avaient été découverts : c’est Mirabeau qu'on visait. Malouet, dans ses Mémoires, rappelant cet épisode de la vie du grand orateur, s'exprime ainsi: « Il offrit de nouveau ses services au roi par un député de la noblesse (La Marck) attaché à la reine. Il voulait être ministre. Necker rejeta encore ses proposilions; mais, pour qu'il füt plus certain qu’elles n'auraient aucune suite, un député breton (Lanjuinais) surprit le secret de la négociation, fit décréter par l’Assemblée qu'aucun député ne pourrait accepter une place de la Cour ;

mesure déplorable qui ne laissait à l'ambition d'autre issue:

que celle de la démagogie!. »

Mirabeau ne s'y trompa point et, dans la séance même du 6 novembre, où Talleyrand prit également la parole, il termina sa réplique par celte fière et ironique proposilion : « Voici donc, Messieurs, l'amendement que je vous propose, c'est de borner l’exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la sénéchaussée d'Aix. Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l'espérance de voir plusieurs membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir

les conseillers intimes de la nation et du roi, que je ne cesse—

rai de regarder comme indivisibles?. »

1. Mémoires, t. IL, p. 27 2. Réimpression de l'ancien Moniteur, t. IL, p.154,