Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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par plus de cent mille personnes, dans un silence solennel) à été un imposant spectacle. C'était un large tribut payé à des. talents supérieurs, mais un médiocre encouragement aux actions vertueuses. Des vices, à la fois dégradants et détestables, ont marqué cet êlre extraordinaire. Complètement prostitué, il a tout sacrifié au caprice du moment. Cupidus alient, prodiqus sui; vénal, sans pudeur, et cependant, grandement vertueux, quand il était poussé par un mouvement dominant, mais jamais véritablement vertueux, parce qu'il n'était jamais sous le contrôle inébranlable de la raison ou sous la ferme autorité des principes; j'ai vu cet homme, dans le court espace des deux ans, hué, honoré, haï, pleuré. L’enthousiasme vient de le présenter comme gigantesque ; le temps et la réflexion abaisseront cette taille. L'oisiveté alfairée du moment devra trouver un autre objet à exécrer ou à exalter. Tels sont les hommes et en particulier les Français !. »

N'y a-t-il pas dans ces lignes une dureté inouïe ? Combien Mallet du Pan était mieux inspiré, lorsqu'au même moment il écrivait dans le Mercure de France: « Ne voulant ni troubler le délire des hommages, ni servir la joie de la haine ou de l'injustice, j’abandonne ces premiers moments aux rhéteurs. Ce n’est point un homme commun que celui dont la mémoire soulève ainsi, et en sens contraire, les tempêtes de l'opinion. M. de Mirabeau emporte les regrels, non seulement de ses adhérents, mais encore d’une partie de la minorité, qui fondait sur les vues secrètes de ce chef de parti des espérances et des projets ?. »

Morris, l’année suivante, dans une lettre à Washington du 4 février 1792, où il jette un coup d'œil rétrospectif sur les événements, insulte encore et calomnie Mirabeau. ll parle du parti des modérés. « La mort de Mirabeau, dit-il, qui, sans contestation possible, était un des coquins les plus dépourvus de principes, a laissé un grand vide dans ce dernier parti. Il était alors vendu à la Cour et son intention était de rélablir le pouvoir absolu ?. » Il est permis de protester énergiquement contre cette affirmation. Mirabeau était ayant tout

1, T. I, p. 398. — 2. Mémoires, &. I, p.226. — 3. T. I, p. 502.