Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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Avec le régime ministériel qu’établissait la Constitution, son rôle était difficile. Devait-il prendre des ministres qu'il choisirait uniquement à raison de leur capacité et de la confiance qu'il aurait en eux? Devait-il, au contraire, constituer un ministère, qui reflétât la majorité de l’Assemblée et qui, étant uni, essayât de gouverner avec elle ? C'étaient deux conduites franches et possibles : Louis XVI n'adopta ni l’une ni l’autre, Le premier ministère fut composé, on l'a vu, pour complaire à la coalition des constitutionnels. Il comprenait Duport du Tertre, Duportail, Delessart, Tarbé, Cahier de Gerville et Bertrand de Molleville : plus tard Narbonne remplaça Duportail, Sur la plupart d’entre eux Morris a fourni d’amples détails !. On peut dire que ce n’était ni le ministère de l’Assemblée, ni le ministère du Roi. Ce dernier avait bien songé à le composer autrement : « Lorsque s’agitait la question de savoir qui succéderait à M. de Montmorin, le roi de son propre mouvement nomma le comte de Moustier et lui écrivit à ce sujet une lettre que Moustier m'a montrée depuis. Il eut la prudence d'écrire de Berlin pour suspendre son acceptation jusqu’à ce qu'il füt à Paris. Lorsqu'il arriva dans cette ville, le roi lui dit qu'il ne pouvait pas lui donner la place parce qu'il était regardé comme un aristocrate. Vous remarquerez que la coalition avait travaillé à se débarrasser de lui... Le plan était qu'aussitôt que les circonstances le permettraient un ministre de la Guerre fidèle au roi serait nommé et qu'alors Bougainville prendrait la marine, Bertrand serait nommé garde des sceaux, et Delessart serait conservé ou renvoyé, selon sa conduite. Ce plan n'était pas connu du tout de la coalition, mais ils savaient bien que, si Moustier entrait dans la place, ce serait un pas de fait vers la destruction de leur influence et de leur autorité : ils assurèrent alors le roi qu'ils ne pouvaient pas répondre des conséquences ; ils le menacèrent de commotions populaires en même temps que de l’opposition de l’Assemblée, et ainsi de suite, de sorte qu’à la fin le roi renonça à sa nomination et expliqua l'affaire à Moustier 2. »

1. T. I, p. 5o4 et suiv. — 2. T. I, p. 50h; cf. p. 47o (22 octobre 1791).