Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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oppressions et que, par suite, elle serait disposée à se soumettre à un despotisme pur plutôt qu'à cette forme de monarchie, dont les seules limites se trouvaient dans les corps de la noblesse, des tribunaux et du clergé qui alternativement opprimaient le peuple et l'insultaient : et cette observation nous mène naturellement au but que poursuivent les puissances alliées et qui me paraît être l'établissement d’un gouvernement militaire sur les ruines du système monarchique qui existe actuellement, et à la continuation duquel personne n’a intérêt, sauf l’Angleterre!. » Là, il est vrai, Morris attribue, par avance, aux puissances alliées contre la France et dont il présume le succès, l'établissement de cette monarchie absolue et militaire et, en cela, il se trompe doublement. Mais, en même temps il signale une des causes profondes qui feront l'Empire : la France sacrifiera volontiers à Napoléon la liberté politique, et son nouveau maître lui assurera en échange les conquêtes civiles, administratives et militaires de la Révolution. Notons que Morris écrivait ces lignes dans un moment où, comme nous le savons, il-travaillait et conspirait pour rétablir l’autorité royale et conserver à la France un monarque constitutionnel dans la personne de Louis XVI. La passion, la volonté tendue vers un but, n’empêchaient pas chez lui la clairvoyance, la prévision des événements contraires à ses espérances, qui se préparaient et se massaient dans l’avenir.

Après le ro août il annonce de plus belle le futur despotisme. Rappelons ce passage d’une lettre à Thomas Pinckney : « La tempête qui dernièrement faisait rage esl maintenant quelque peu abattue ; mais les vents vont bientôt s'élever de nouveau, peut-être du même côté, peut-être d’un autre : mais cela importe peu. Tout homme attaché à ses frères en humanité doit voir avec détresse les maux qu'ils souffrent ; mais un Américain a pour ce pays une sympathie plus forte que tout autre observateur et nourri, comme il l'est, sur le sein de la liberté, il ne peut qu'être profondément affecté de voir que, de toute façon, ces convulsions doivent se terminer par le despotisme ?. »

TL op.589 — "27.1; p. 577