Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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III

Morris a toujours considéré l'Empire, avant même qu'il existât, comme une phase transitoire, qu'il fallait traverser avant d’arriver à la Restauration. Il l’a jugé aussi sévèrement que la Révolution. Même, à un moment donné, il rendait à celle-ci une justice rétrospective, en lisant le réquisitoire que rédigeaient contre elle certains révolutionnaires, passés au service de Bonaparte. Le 18 février 1806, il écrit à Parish : « Je viens de lire les Wémotres de Talleyrand !, dans lesquels je trouve quelque vérité et beaucoup de fausseté. Tout est exagéré, même la richesse de ses talents. Son caractère est également dénaturé. Il n’a pas à proprement parler de dispositions criminelles, bien que la vertu et le vice lui soient indiflérents ; il ferait le bien plutôt que le mal et serait capable, je le crois, de perpétrer un grand crime. L'histoire de l’empoisonnement et autres semblables ne sauraient être vraies. Beaucoup de publications similaires sont tombées dernièrement entre mes mains et les révolutionnaires français } sont dépeints aussi noirs que le démon. Incontestablement dans ces dix dernières années il a élé commis sur le théâtre de la France plus de crimes que l’histoire n’en enregistre liabituellement ; et il est tout aussi incontestable que le système élevé sur d'aussi abominables fondations doit bientôl s'effondrer. Telle est la loi inaltérable de Dieu, attestée par

1. De quel écrit Morris veut-il parler ? En 1806 il n'avait pas paru de Mémoires de Talleyrand, même des Mémoires apocryphes. Une lettre qu'il écrivait au mois d'août 1802 à Livingston, alors ministre’ des États-Unis en France, peut mettre sur la voie. Il y dit (t. IE, p. 426): « Je prierai le porteur de cette lettre de vouloir bien se charger de nos débats au Sénat sur le système judiciaire. Envoyez-en un exemplaire avec mes compliments à M. Talleyrand qui se souvient peut-être que nous nous sommes connus autrefois. » Aïnsi Morris était rentré en relations avec son ancien ami, el il me paraît probable que les Mémoires en question lui avaient été adressés par Talleyrand lui-même, C'étaient, sans doute, des rapports rédigés par celui-ci, ou peut-être les Éclaircissements donnés à mes conciloyens, Paris, 1709: