Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

LE DIRECTOIRE, LE CONSULAT ET L'EMPIRE 369

J'étais seul d'avis que les patriotes d’Espagne et de Portugal réussiraient. J’ai fixé le 20 octobre comme date de la retraite de Moscou et comme le commencement de la ruine de Bonaparte. Il partit deux jours plus tôt. Je n’eus aucune difficulté à prédire non seulement le résultat de cette campagne, mais encore la manière dont il s’effectuerait. En même temps je rends cette justice à Napoléon qu'il la conduisit bien et comme homme d'État et comme soldat. En prenant position sur l'Elbe de bonne heure et en force, il n'avait pas en novembre reculé plus loin qu'autrement ilne l’eût fait en juin. Il avait de plus la chance d’une victoire, et il fit pour cela des efforts habiles et répétés. Il voyait bien le parti qu’allait prendre l'Autriche et auquel ne voulait pas croire mon pauvre ami Moreau, lorsque j'insistais sur ce point dans une conversation avec lui et M. Parish, peu avant qu'il fit voile pour l'Europe. Etre en force près de la Bohème était le seul moyen qui füt au pouvoir de Napoléon, pour faire tenir son beau-père tranquille, et il eût produit effet si la chose eût été praticable. La vérité est qu’en combattant si loin de ses foyers il risquait une ruine plus complète. Mais même maintenant et malgré sa déconfiture il sera, je crois, sauvé, non par sa propre force, mais par l'intérêt qu'ont ses ennemis, ou la plus grande partie d'entre eux, à sa conservation. Il comprend cet intérêt aussi bien qu'eux-mêmes et, par suite, son jeu paraissait plus désespéré qu'il ne l'était en réalité. Je ne répéterai pas ici, ce que je disais il y a quelque temps dans une lettre à mon ami M. King, parce que je n'aime pas à me répéter. Je n'ai pas non plus insisté sur mon opinion antérieure, pour gagner du crédit comme prophète, mais pour montrer ma confiance dans le Tout-Puissant !. » Cela était écrit au moment où allait s'ouvrir le congrès de Châtillon.

Cette lois il s'était trompé. La diplomatie et la fortune des armes devaient trahir Napoléon et le 9 juin 18r4, sur l'invitation du général Clarkson, le vieil homme d'État, fidèle à ses convictions, prononçait un discours pour célébrer la Restauration : « Entre onze heures et midi je vais à une église,

1.T. El, p. 560.