Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française, S. 80
LES IDÉES DE GOUVERNEUR MORRIS SUR LA FRANCE 77
qu sens commun et de l'expérience, ont tourné la tète de leurs compatriotes et ceux-ci se précipitent comme des bêtes furieuses vers une Constitution à la Don Quichotte, comme celle dont vous jouissez en Pensylvanie !. » :
Entre les deux révolutions Morris relève donc des différences capitales. Par une observation vraiment profonde, il marque d'abord que les colonies ainéricaines jouissaient depuis longtemps de la liberté politique, et que, dans la guerre de l’Indépendance, elles luttaient seulement pour là conserver. En France il s'agissait de conquérir la liberté, et de s'adapter à ce régime nouveau en même temps qu’on luttait contre les forces du passé. Il écrira à Washington en décembre 1794 : « Pour juger les Français nous ne devons pas avoir recours aux sentiments de l'Amérique pendant la dernière guerre. Nous élions en possession actuelle de la liberté et nous combattions, non pour obtenir, mais pour conserver ses bienfaits. Le peuple élisait ses magistrals pendant que la guerre continuait. La propriété de la nation était engagée dans la révolution et les oppressions qu'elle a occasionnées n’ont été ni grandes, ni extensives, ni de‘longue durée. Mais en France ils ont été fascinés par une série de vaines espérances, jusqu'à ce qu'ils soient plongés au fond de la misère et de la servitude ?. »
IL met aussi une grande différence, non pas seulement entre le tempérament, mais aussi entre le degré de vertu des deux peuples ?. Il montre (en 1793 et 179%, il est vrai) la France déchirée par la lutte des partis, alors que l'Amérique, grâce à l'union de ses vertueux ciloyens qui l’a rendue invincible, jouit de la paix et de la prospérité : « Combien était différente notre situalion en Amérique. Ghacun remplissail allégrement son role, et l’on n'avait rien à craindre, si ce n’est de l’'ennemi commun. Telle est l'immense dillérence entre une nation qui a de la moralité et celle qui est corrompue. La première a tout à espérer et la seconde tout à craindre *. » Et ce passage d’une autre lettre à Washington un peu antérieure :
1. T. 1, p. 198.— 2. T. IL, p. 80. 3. Ci-dessus, p. 19. h. T. EI, p. 60. Lettre à Washington du 12 mars 1704.