Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

306 LE JOURNAL D'UN ÉTUDIANT

Ramond l'ayant appelé le fils aîné de la liberté : « Si c'est le fils aîné de la liberté, s'écrie Collot d'Herbois aux Jacobins, il assassine sa mère ; si c’est notre frère aîné, c'est notre Caïn. »

On l'a vu se promener dans Paris avec plusieurs centaines d'officiers qui entouraient sa voiture et on le compare aussitôt à Sylla dans Rome. On le soupçonne de vouloir donner des fers à sa patrie, de chercher à jouer le rôle d'un despote. Dans son ancienne idole le peuple ne voit plus que « le singe de Cromwell ou de Monck ».

La Cour est aussi suspecte que le général, qui passe pour être devenu son plus fervent séide : dans les moindres incidents on peut constater que l'éloignement du peuple s'accentue.

Depuis le 20 juin le Roi avait fait fermer le Sade des Tuileries. La terrasse des Feuillants, qui aboutissait à l'Assemblée, était seule restée ouverte, et l’on y avait placé des sentinelles avec la consigne de ne laisser passer personne de cette terrasse dans le jardin. Cette interdiction fut tournée en plaisanterie. Le peuple plaça un écriteau avec ces mots : « Défense de passer sur le territoire étranger ». Aussitôt on leva la consigne, mais le peuple s'obstina à la respecter; la limite qu'on ne devait pas franchir fut indiquée par un simple ruban tricolore et pas un pied profane ne se portait au delà. La terrasse des Feuillants est couverte d'une foule compacte, et le jardin qu'on appelle la Forêt-Noire reste