Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 351 pas dans les rues les débris hideux et sanglants de ces cadavres mutilés et entassés dans de vastes tombereaux découverts. J'ai vu, pour ma part, sept de ces tombereaux remplis d'autant de corps qu'ils en pouvaient contenir ; de longues traces de sang suivent la marche de ces horribles chariots; l'image de la mort et du massacre se présente partout et sous les formes les plus effroyahles*.

1. Edmond raconte l'étrange évasion d'un malheureux nommé Sinteil, enfermé à l'Abbaye comme suspect de pacliser ayec les réfractaires. C'élait le fils d'un eulottier de la place SainteColombe. à Bordeaux, et après avoir miraculeusement échappé à la mort, il exerça dans sa ville natale la profession de chapelier. Voici comment Sinteil fut sauvé :

« Au milieu du massacre, il imagina de se dépouiller à moitié de ses habits et de se jeter, à la faveur des ténèbres, parmi les cadavres qu'on amoncelait près des portes de la prison. Vers le matin, arrivèrent des charreites, il y fut placé comme mort, avec le reste des victimes, qu'on allait enterrer dans une de cés carrières abandonnées qui se trouvent à l’entour de Paris. Quelques massacreurs suivaicnt armés de sabres et de büches. Le triste convoi, étant arrivé à la barrière, tandis qu'on la faisait ouvrir, et que le charretier buvait l'eau-de-vie avec ses camarades, le malheureux Sinteil, protégé par une brume fort épaisse, se dégagea doucement de ce tas de cadavres, et se laissant glisser de la charrette à terre, gagna à tout hasard une maison voisine, dont il eut le bonheur de trouver la porte entr'ouverte. La lueur d’une lampe le guida, à travers une longue

‘ allée, yers une cuisine, où il aperçut une négresse, qui s'était levée de fort bonne heure et qui, assise près du feu, faisait du chocolat pour ses maîtres. A l'aspect de cet homme presque nu, couvert de boue et de sang, la pauvre négresse, croyant voir un fantôme, poussa un cri et s'évanouit. Ses maitres accoururent. Sinteil se jela à genoux et les conjura de le sauver. Fort heureusement, il avait affaire à deux étrangers, qui devaient dans ce même jour quitier Paris et partir pour l'Angleterre. On