"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (oštećen primerak)

LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».

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Le Français a pourtant chanté dans tous les temps!... Mais dût cette frivolité dont on l’a si souvent accusé, et son goût pour le changement, lui avoir fait négliger et, par degrés, totalement oublier les anciennes chansons de nos aïeux, il n’est pas moins étonnant qu’il s’en trouve si peu de vestiges dans les anciens recueils, où presque tous les genres de poésies qui furent jadis à la mode se trouvent, soit en totalité, soit en partie, conservés jusqu’à nos jours. Dira-t-on que nos fabliaux (dont M. Legrand vient de nous donner un choix qui lui fait tant d’honneur) n’étaient en effet que des romances chantées par les ménétriers, et dont les airs, probablement peu faits pour en perpétuer la mémoire, sont, ainsi que ces petits poèmes, insensiblement tombés dans l’oubli ?... Le contraire se prouve par les chansons amoureuses de Thibaut, comte de Champagne, d’Enguerrand de Coucy et autres, dont les airs ont passé jusqu’à nous, ainsi que leurs chansons. En attendant que cette question, faite pour inviter quelque plume plus exercée dans ce genre que celle de l’éditeur, soit décidée, il fera des vœux pour que les littérateurs et les amateurs des anciennes romances répandues, ne dût-ce être que parmi le peuple de nos différentes provinces, les communiquent au public, ainsi qu’il en donne l’exemple en insérant celle qui suit dans un recueil, dont le but est de rassembler les parties ou négligées ou presque oubliées servant à l’histoire ou aux belles-lettres de la nation *. Le spécimen inséré était une « ancienne romance picarde », le Comte Orry et les nonnes de Farmoutier: Le comte Orry disait, pour s’égayer, Qu’il voulait prendre le couvent de Farmoutier, Pour plaire aux nonnes et pour les désennuyer, etc. 3 . Dans une note, l’éditeur reconnaissait qu’« il ne restait de cette romance, que l’on croit du xtv c ou du xv e siècle, que quelques fragments, dont la singularité a paru assez piquante, pour engager M. D. L. P. à tenter d’en remplir les lacunes et d’en rajeunir à peu près le langage. Il a cru même devoir en conserver l’air sur lequel il a autrefois entendu chanter et danser ces mêmes

1 Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l’histoire et à la littérature, par M.fonsieur] D.[e] L.[a] P.[lace], Bruxelles, 1784-5. Tome 111, pp. 236-238. * Idem, pp, 239-243.