"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

à répandre cette nouvelle 1 , lança à grand fracas une seconde édition dont la couverture porte en entier le nom de l'auteur. Cette révélation ne fut pas très prudente. Nodier ne jouissait pas d’un grand crédit auprès delà presse de l’opposition et, malgré tout le succès du livre, il fut de suite accusé de plagiat : Jean Sboyar, disait-on, était volé au Corsaire de Byron 2 . On avait raison et tort tout à la fois de le prétendre ; car, s’il est vrai que Jean Sboyar a été écrit sous une influence étrangère, il n’en reste pas moins vrai que cette influence ne fut pas celle de Byron, malgré les ressemblances frappantes qui existent entre le poème anglais et le roman français. Jean Sboyar est inspiré des Briyands de Schiller, d’où procédait, par une voie différente, l’ouvrage de Byron 3 .

1 II nous paraît que c’est là une légende habilement arrangée pour écouler l’édition. On invoque ordinairement le témoignage de N. Delangle, ami de Nodier et éditeur de ses Poésies diverses (Paris. 1829). Mais Delangle, ce prétendu témoin ou vérificateur, ne cite que le numéro de la Renommée dont nous venons de parler plus haut, et le mémorial de Sainte-Hélène. (Préface des Poésies diverses, p. 10.) Nous avons cherché, au mémorial, le passage en question, mais nous n’avons pas réussi à le trouver. Du reste, le comte de Las Cases avait quitté Sainte-Hélène dix-huit mois avant que Jean Sbogar eût paru, et, par conséquent, ne pouvait rien savoir d’une pareille lecture. 2 Renouard, Catalogue de la bibliothèque d'un amateur, Paris, 1819, t. 111, p. 123. 3 Edmond Estève, Byron et le romantisme français, Paris, 1907, p. 31. Jean Sbogar n’est pas une imitation directe des Brigands. La pièce de Schiller était traduite, en 1785, dans le Nouveau Théâtre allemand de Friedel et Bonneville. La Martelière en tira un gros mélodrame, Robert, chef de brigands, en 1792. En 1799, traduisant le théâtre de Schiller, il renonça à y faire entrer les Brigands comme trop universellement connus. Il les remplaça par une tragédie de Zschocke, Abelino ou le grand bandit, « pièce qui a un mérite tout à fait original, et qui, par sa contexture et la singularité du sujet, semble appartenir au même écrivain ». (Théâtre de Schiller, traduit de l’allemand, Paris, 1799, préface, 1.1, p. vu.) C’était cette imitation qui avait inspiré Jean Sbogar.