"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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Nodier sut se défendre de cette accusation. Il prétendit avoir ébauché son roman « en 1812, aux lieux mêmes qui l’ont inspiré » ; donc, « Jean Sbogar avait quatre ou cinq ans de plus que son aîné d’invention » 1 (le Corsaire est du mois de janvier 1814 !). Et ce n’était pas tout. Jean Sbogar avait réellement existé : les petits enfants des bords du golfe de Trieste vous l’attesteront quand vous prendrez la peine de les interroger sur ce sujet. La cour de justice qui le condamna était présidée par M. le comte Spalatin. « Je me vois obligé, disait Nodier dans sa préface de 1832, à déclarer que personne au monde n’a de plagiat à m’imputer dans cette affaire, si ce n’est, peut-être, le greffier des assises de Laybach en Garniole, l’honnête M. Repisitch, qui voulut bien me donner, dans le temps, les pièces de la procédure en communication pour y corriger quelques germanismes esclavonisés dont il craignait de s’être quelquefois rendu coupable dans la chaleur de la rédaction. Je proteste en outre que tout ce que j’ai pris dans son dossier se réduit à certains faits que je n’aurais pas pu mieux inventer, quand j’aurais été Zschocke. » Et, dans ses Souvenirs de la Révolution et de VEmpire, Nodier raconta une conversation qu’il aurait eue avec Fouché, en Illyrie, au sujet de son héros : La cour impériale venait de déposer sur son bureau le dossier d’un arrêt en suspens qui attendait son aveu. C’était celui de ce fameux Jean Sbogar, dont les journaux de Paris ont si bien prouvé que j’avais volé le type à lord Byron, par anticipation, sans doute. « Quel est cet homme? » me dit le gouverneur. Un bandit systématique, répondis-je ; un homme à opinions exaltées, à idées excentriques et bizarres, qui s’est acquis au fond de la Dalmatie une réputation d’énergie et d’éloquence, accréditée par des manières distinguées et une figure imposante.

1 Préface de l’édition de 1832.