"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLÂ ».

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Un homme de lettres distingué, disait-il, qui a bien voulu prendre quelque intérêt à mes travaux sur la littérature slave, a témoigné dans un journal le désir que Rejoignisse à quelques-unes de mes traductions le texte original du poète. Il n’a pas observé que la langue slave possède plusieurs articulations que nous ne pouvons exprimer par aucun signe de notre alphabet, et dont quelques-unes sont extrêmement multipliées dans l’usage; de sorte qu’il serait impossible de reproduire ce texte autrement que par des approximations imparfaites, pour ne pas’dire barbares, à moins qu'on ne se servît de l’écriture propre de l’idiome, qui serait illisible pour le très grand nombre des lecteurs. On jugera toutefois de cette langue et de cette écriture par la planche où j’ai représenté le premier quatrain delà Complainte de la noble épouse: 1° avec nos caractères, d’après Fortis qui convient qu’il n’a pas pu se'dispenser de s’éloigner un peu de la prononciation, et qui s’en est beaucoup plus éloigné qu'il ne le dit ou qu’il ne le croit ; 2° en lettres glagoliliques ou géronimiennes des livres de liturgie; 3” en cyrilliaque ancien; 4° en cursive cyrilliaque moderne, comme elle est encore usitée par les Morlaques, et qui se rapproche beaucoup de la cursive usuelle des Russes 1 . Cette planche était simplement une reproduction de celle qu’avait donnée Fortis dans son Voyage ! M. La Beaumelle se contenta de cette réponse. Il comprit la chose jusqu’à un certain point, loua Smarra, mais l’attribua de suite à son véritable auteur. Quant à l’autre « romance nationale », il fut complètement dupe. Vient ensuite, disait-il, le chant de Spalalin-Bey qui est bien certainement d’origine ancienne... Le noble et courageux Spalatin est un des plus beaux caractères qu’ait tracés la poésie. Le récit a dans son ensemble toute la simplicité ; dans son expression, toute la fierté des temps anciens. C’est une sapa islandaise, un chant d’Ossian, uneC? romance des vieux Espagnols, et, quelquefois même, une rapsodie ; d’Homère 2 . / Quelques « journaux libéraux », que nous n’avons pas réussi à découvrir, avaient cru à l’authenticité de l’ouvrag-e entier, et la Gazette de France se moqua

1 Smarra, pp. 184-185. - L'Abeille (suite de la Minerve littéraire'), 1821, t. IV, p. 361.