"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».

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n’est qu’un acteur dans un drame sans fin », il s’appliqua à saisir le génie de chaque nation, et cela non pas dans la littérature savante de nos jours, mais bien dans la poésie primitive et ancienne, « la seule vraie poésie » comme il l’appelait. Il est nécessaire de faire observer ici un détail que M me de Staël a d’ailleurs fort justement remarqué dans son livre De l’Allemagne (2 e partie, ch. XXX) : l’allemand est une langue si malléable que, seule, elle permet de traduire la naïveté naturelle du langage de chaque pays. Aussi Herder put-il reproduire dans le rythme original tous les poèmes étrangers qu’il était parvenu à recueillir; il les publia enfin, en 1778 et 1779, sous le titre général de Chansons populaires L J’ai étudié la pensée des différents peuples, disait-il dans sa préface, et ce que j’y ai découvert sans esprit de système et sans subtilité, c’est que chacun d’eux s’est formé des archives à lui en rapport avec sa religion, les traditions de ses pères, et ses idées particulières, que ces documents sont exprimés dans une langue, sous une forme et dans un rythme poétiques, que ce sont par conséquent des chants mythologiques et nationaux sur ses origines et sur ce qu’il y a eu de plus remarquable dans son passé. De pareils chants on en trouve chez chacune des nations de l’antiquité, qui, sans secours étranger et en suivant la voie de sa propre culture, s’est élevée seulement un peu au-dessus de la barbarie... L’Edda des Celtes (sic), les cosmogonies, théogonies et chants héroïques de la Grèce antique, les traditions des Indiens, des Espagnols, des Gaulois, des Germains et de tous les peuples barbares; tout cela est une seule et même voix et comme un écho isolé de ces traditions poétiques des premiers temps. Tout ce que dans notre âge de culture raffinée nous ne voyons de l’homme qu’en traits faibles et obscurs, est vivant dans les archives de cet âge éloigné. Le succès des Chansons populaires fut aussi complet que leur influence fut durable et féconde. « Herder, dit

1 Get ouvrage est plus connu sous le nom des Voix dos peuples dans la poésie (Stimmen der Vôlker in Liedern), qui exprime, il est vrai, beaucoup mieux la pensée intime de Herder, mais qui n’est pas de lui. En effet, ce titre avait été donné aux Volkslieder, en 1807, par leur éditeur J. von Millier.