"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».

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Il va sans dire que Creuzé de Lesser ne conserve pas la couleur locale de ses originaux. « Il en a peur, dit M. Gustave Lanson : tout l'effarouche, tout ce qui n’est pas au goût français de 18-10, le brutal, le populaire, le surnaturel et, il faut bien le dire, aussi le naturel. Il demande grâce dans sa Préface pour le détail singulier des mœurs, qui pourrait étonner ; mais il a eu soin de ne pas laisser grand’chose qui étonne 4 . » Après avoir étudié cette traduction, M. Lanson conclut de la façon suivante : « D’un bout à l’autre de ses traductions, le pauvre écrivain travestit inconsciemment l’original espagnol, même quand il croit le rendre exactement... Les idées conventionnelles du goût classique collent, si je puis dire, au langage ramassé dans les tragédies et dans la poésie du temps, et Creuzé de Lesser, malgré ses bonnes intentions, amène les unes avec les autres, si bien que le Romancero du Cid se recouvre d’un faux vernis qui date déplorablement 2 . » Il nous semble pourtant que l’éminent critique juge un peu trop sévèrement le bon traducteur; il le juge surtout en se plaçant au point de vue d’aujourd’hui. Si Creuzé de Lesser nous paraît peu avancé sur son temps, il le paraissait bien davantage à ses contemporains. Citons d’abord cette Préface où il a exposé les principes qui ont guidé sa traduction : l’ouvrage est dédié aux membres de l’Académie de Madrid. « Puissiez-vous, Messieurs, leur dit-il, juger que je riai point dénaturé la singulière énergie et la simplicité de ces romances presque autant antiques que le héros... Même en y laissant bien des choses hasardées pour la

1 Gustave Lanson, Émile Deschamps et le Romancero, élude sur l'invention de la couleur locale dans la poésie romantique. 'Revue d’histoire littéraire, 1899, p. 6.) 2 Idem, pp. 7-8.