"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE 11.

délicatesse française, j’ai tâché de conserver tout ce qu’elles offrent de remarquable. » Citons ensuite l’opinion d’un critique du temps, M. Dussault, du Journal des Débats, qui, s’il n’a point.de haine pour la romance espagnole, s’irrite cependant contre son traducteur français auquel il reproche de n’avoir pas eu assez le souci de ses lecteurs. Je ne range point l’auteur de ce recueil parmi les romantiques, écrivait-il ; il n’est pas, ce me. semble, de la confrérie ; il fait des vers et non pas des systèmes. Il est permis au talent de chercher partout des sujets et de mettre à profit les richesses de toutes les littératures du monde... Voyez M. de Sismondi traduisant en prose quelques-unes de ces mêmes romances que M. de Lesser vient de mettre en vers : il en déguise la platitude, il en adoucit la rudesse, il en polit la grossièreté, il ennoblit les détails trop bas ; il orne les endroits trop nus; il retranche, il ajoute, etc... M. de Lesser n’a pris soin ni d’effacer, ni de farder et d’embellir i . Et le critique blâma sévèrement le poète-traducteur d’être allé jusqu’à « respecter des traits qu’on supporterait tout au plus dans nos chansons de rue ». Malheureusement pour le pauvre M. de Lesser, quelques années plus tard, on ira si loin dans ce sens que ses timides essais ne paraîtront pas plus romantiques que ne l’étaient les poèmes sentimentaux du « genre troubadour ». Nous nous trompons, les révolutionnaires littéraires de 1824 sauront les distinguer, et ce sera Émile Deschamps lui-même, le futur traducteur du Cid qui, dans la Muse française, rendra, le premier, hommage à son prédécesseur 2 . La vogue des « choses d’Espagne », qui caractérise non seulement le romantisme français, mais aussi celui des Anglais, des Allemands et des Russes, était maintenant inaugurée. Le Romancero sera très estimé par

1 Jownal des Débats du 25 juillet 1814. 2 La Muse française, 1823, 1.1, pp. 310-321.