"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE 111.

rions mieux faire que de citer une note malheureusement trop courte qu’a inséréeM. Paul Groussac, directeur de la Bibliothèque nationale de Buenos-Ayres, dans sa belle étude sur la « Carmen » de Mérimée 1 . Tout ce qu’on avala, dit-il, comme dragées romantiques sous la Restauration et même après ! Le Théâtre de Clara Gazul frappa par son aspect de sincérité, par la « couleur locale », et il fut accepté comme un recueil de pièces espagnoles très authentiques 2 ! Même aujourd’hui, l’Espagne est aussi ignorée, en France et ailleurs, que la Chine ou l’Hindoustan. Taine parle quelque part du théâtre « tout nerfs de l’Espagne ». C’est un contresens. L’image exacte du théâtre espagnol, depuis Lope jusqu’à Canizares, se trouve dans nos tragicomédies de Hardy, Théophile, Tristan, etc., qui, du reste, s’inspiraient de l’espagnol. Rien de plus éloigné de cette déclamation à jet continu, de celyrismeàpaillettes, de ces imbroglios tourbillonnants, toujours les mêmes, que la manière ironique, condensée, froidement cruelle de Mérimée. Il dut le succès de ses pièces pseudo-espagnoles à l’illusion des détails, très exactement plaqués sur un fond adapté au goût d’exotisme extravagant qui régnait alors. J’ai lu quelquefois une ou deux pièces de Clara Gazul, en espagnol, devant les personnes qui ne comprenaient pas le français : cela ne portait pas du tout. Quoi qu’il en soit, ces pièces obtinrent un assez vif succès; mais comme elles n’étaient pas destinées à la scène, ce succès fut purement littéraire. Le Clobe (4 juin 1823), le Mercure du XIX & siècle (tome IX, pp. 494-99) témoignèrent une grande bienveillance à leur auteur, qui se trouva ainsi l’un des premiers champions du drame romantique ; ils n’hésitèrent pas à proclamer un nouveau Shakespeare, ce jeune dramaturge dont « le talent parut avoir frappé son rival..-. Charles de Ré-

1 Paul Groussac, Une Énigme littéraire : le « Don Quichotte » d'Avellaneda, Paris, A. Picard et fils, 1903. L’étude en question se trouve aux pp. 263-303. 2 M. Groussac se trompe légèrement. Mérimée ne cachait pas qu’il était l’auteur de Clara Gazul (il signait même ses lettres de ce « divin» nom stendhalien) ; son ami Ampète le dévoila aussitôt dans le Globe, et Léonor Mérimée présentait l'ouvrage aux professeurs de son fils. (M. Toumeux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole, p. 5.)