"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE IV.

M. Léon Séché, qui a tant d’autorité en ce qui concerne l’histoire intime du romantisme, nous assure que «le bon Nodier » était absolument incapable d’un tel acte. Mais Nodier avait, toutefois, raison de se plaindre. Car c’était lui qui avait introduit l’lllyrie en France ; exagéré, comme on le verra, l’importance du vampirisme et imaginé que le poète serbe ne chantait que cette monstrueuse superstition; lui encore qui avait « déterré » (c’est l’expression de Mérimée lui-même) le Voyage en Dalmatie de Fortis, traduit la ballade de la Noble épouse d’Asan-Aga que l’auteur de la Guzla va traduire à son tour, et, en plus de cela, avait préparé un recueil de faux et demi-faux poèmes « esclavons » ; lui qui, enfin, avait lancé ce recueil six ans avant celui de Mérimée, mystification qui, il est vrai, avorta piteusement. Tout cela, l’auteur du Théâtre de Clara Gazul le connaissait parfaitement bien, et les ressemblances entre les deux ouvrages ne sont pas accidentelles. Il avait lu Jean Sbogar bien avant la mort de celui qui l'avait précédé à l’Académie française, quoi qu’il en ait dit dans une de ses lettres L II avait lu Smarra, aussi et surtout Smarra. Il avait même, peut-être, passé une soirée àla Porte-Saint-Martin, écoutant le Vampire de Nodier, gros succès théâtral de 1820 à 1823. Il se souvint plus d’une fois de Smarra dans son livre et particulièrement au commencement. On dirait que Nodier lui a montré le chemin et qu’il ne fait que continuer la route qu on lui avait tracée. Du reste, Mérimée le premier reconnut qu’il avait été devancé par Nodier. Il le fit dans une allusion discrète et maligne, en vrai pince-sans-rire qu’il était. « Quand je m occupais à

1 Paul Stapfer, op. ait., p. 338.