"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

INFLUENCE DE NODIER.

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former le recueil dont on va lire la traduction, dit-il dans sa préface, je m'imaginais être à peu près le seul Français (car je l’étais alors) qui pût trouver quelque intérêt dans ces poèmes sans art. » Alors, c’était l’année 1816, époque où l’aimable auteur n’avait que treize ans, mais également celle où Jean Sbogar et Smarra n’étaient pas encore parus ! 11 antidate ainsi son livre pour prouver qu’il a priorité sur Nodier; mais il ne fait, en définitive, par cette manœuvre que nous convaincre qu’il connaissait la vogue de lapoésie populaire serbo-croate, aussi passagère qu’elle eût été 1 . Ce mot même de guzla qu’il donna pour titre à son recueil, avait été employé plusieurs fois avant lui par l’ancien rédacteur du Télégraphe de Laybacli. Dans les extraits des articles de Nodier sur la poésie « morlaque » que nous avons donnés, on a pu rencontrer la description de cet instrument. On la rencontre dans Jean Sbogar, de même que dans la ballade du Bey Spalatin, publiée à la suite de Smarra. Il est juste de faire remarquer que le traducteur bernois de 1778 a surtout le droit d’en réclamer la priorité 2 ; mais ce n’est pas seulementla guzla que Nodier avait décrite; il avait mis en scène ce même « barde slave » dont Mérimée traça le brillant portrait qui domine la Guzla tout entière. C’est ainsi qu’on reconnaît dans Jean Sbogar, au troisième plan seulement, il est vrai, bien derrière l’élégant brigand dalmate et sa mélancolique bien-aimée, les

1 Dans la seconde édition de la Guzla, Mérimée reconnaît que « M. Charles Nodier avait publié également une traduction de la Triste ballade, à la suite de son charmant poème de Smarra ». 2 Le dictionnaire d'Hatzfeld et Darmesteter ne connaît pas d’exemple avant 1791. Le mot guzla est, en France, de treize ans plus âgé.