"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE IV.

Mérimée loue et apprécie, avant tout, la large et simple hospitalité que les Morlaques savaient offrir au voyageur. Voici ce que nous raconte le prétendu traducteur de son prétendu poète : « En 1817, je passai deux jours dans sa maison [de Maglanovich], où il me reçut avec toutes les marques de la joie la plus vive. Sa femme et tous ses enfants et petits-enfants me sautèrent au cou, et quand je le quittai, son fils aîné me servit de guide dans les montagnes pendant plusieurs jours, sans qu’il me fût possible de lui faire accepter une récompense. » Est-ce autre chose qu’une réminiscence du récit de Fortis quand il raconte la visite qu’il fit en 1771 à un chef dalmate : Je n’oublierai jamais l’accueil cordial que j’ai reçu du voïvode Pervan à Coccorich. Mon unique mérite à son égard était de me trouver l’ami d’une famille de ses amis l . Une liaison si légère l’engagea néanmoins à envoyer à ma rencontre une escorte et des chevaux ; à me combler des marques les plus recherchées de l’hospitalité nationale ; à me faire accompagner par ses gens et par son propre fils, jusqu’aux campagnes de Narenta, distantes de sa maison d’une bonne journée ; enfin à me fournir des provisions si abondantes, que je n’avais rien à dépenser dans cette tournée. Quand je partis de la maison de cet excellent hôte, lui et toute sa famille me suivirent des yeux et ne se retirèrent qu’après m’avoir perdu de vue. Ces adieux affectueux me donnèrent une émotion que je n’avais pas éprouvée encore et que je n’espère pas sentir souvent en voyageant en Italie. J'ai apporté le portrait de cet homme généreux, afin d’avoir le plaisir de le revoir malgré les mers et les montagnes qui nous séparent et pour pouvoir donner en même temps une idée du luxe de la nation à l’égard de l’habillement de ses chefs. - Le Morlaque, né généreux et hospitalier, ouvre sa pauvre cabane à l’étranger, fait son possible pour le bien servir et ne demandant jamais, refuse même souvent avec obstination les récompenses qu’on lui offres

1 « Mon ami, l'estimable voîvode Nicolas***, avait rencontré àßiograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu’il connaissait déjà; et, sachant qu’il allait à Zara, il'lui donna une lettre pour moi. » (Notice sur Hyacinthe Maglanovich.) 2 Voyage en Dalmatie, 1.1, pp. 82-84.