"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

« HYACINTHE MAGLANOVICH. »

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s’y efface sa personnalité, moulés qu’ils sont dans les formes traditionnelles selon des procédés depuis longtemps établis; on lui trouverait tort d’en réclamer la propriété: le bon goût et une timidité de convention l’empêchent de s’en dire l’auteur aussi ouvertement que le fait le poète de Mérimée : « Celui qui a 'fait cette chanson était avec ses frères au rocher gris; il se nomme Guntzar Wossieratch 1 . » Le guzlar sait que ses autres confrères modifieront son ébauche avant qu’elle prenne sa forme définitive; rien n’est plus faux que cette Improvisation d’Hyacinthe Maglanovich où l’on sentie cabotinage : Étranger, que demandes-tu au vieux joueur de guzla ? que veuxtu du vieux Maglanovich ? Ne yois-tu pas ses moustaches blanches, ne vois-tu pas trembler ses mains desséchées ? Gomment pourrait-il, ce vieillard cassé, tirer un son de sa guzla, vieille comme lui ?... La guzla d'Hyacinthe Maglanovich est aussi vieille que lui ; mais jamais elle ne se déshonorera en accompagnant un chant médiocre. Quand le vieux poète sera mort, qui osera prendre sa guzla et en tirer des sons ? Non, l’on enterre un guerrier avec son sabre : Maglanovich reposera sous terre avec sa güzla sur sa poitrine 2 . La renommée d'un guzlar, et son orgueil de poète aussi, n’était jamais si grande que l’imaginait Mérimée, oubliant un peu trop qu’il avait dit que «la plupart sont des vieillards et fort pauvres, souvent en guenilles, qui courent les villes et les villages en chantant des romances ». Si un guzlar était connu, il ne l’était pas par son talent de poète, mais par sa bonne mémoire et pour son répertoire choisi. Donc, pour le salut de la « couleur locale », le nom du soi-disant auteur desballades de la Guzla ne devait pas figurer sur le recueil. Pour comble de malheurs, quelques biographes par trop

1 La Guzla, p. 247. 2 La Guzla, pp. 173-176.