"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE IV.

tout finit comme dans la comédie, par un heureux dénouement. Gengis-Khan se laisse séduire au charme de la vertu et sent s’amollir la férocité de son cœur. La tendresse de la mère, la fidélité de l’épouse sont des sujets très édifiants, bien dignes de la comédie larmoyante ou du drame bourgeois ; tous ces gens-là commencent à devenir bons, excessivement bons ; trop bons pour qu’on puisse supposer un instant que Mérimée n’a connu le drame chinois que par l’intermédiaire de Voltaire. Il s’est inspiré directement de la traduction publiée par Du Halde. Le critique de laForeiffn Quarterly Review L qui a signalé le premier la de tte de Mérimée, ne s’est pas trompé; il déclare que la mère illyrienne atteint à un degré d’héroïsme très supérieur celui de l’ldamé de Voltaire; ce qui veut dire que son sacrifice lui coùtebeaucoup moins,parce qu’il lui paraît beaucoup plus naturel. Est-ce là du véritable héroïsme? nous sommes tentés de croire que c’est à la fois plus de fanatisme et de sauvagerie. Au reste il n’y a qu’une seule passion exprimée dans la ballade de Mérimée :le désir de la vengeance, et ce n’est pas sur ce sentiment que Voltaire a édifié sa tragédie. Mérimée, d’autre part, qui s’intéressait aux Grecs deFauriel, aux Illyriens de Nodier, aux Morlaques de Fortis, a pu éprouver le même intérêt pour les Chinois de Du Halde. De l’original, il a su retrouver la sauvage énergie, la soif inassouvie de la vengeance longtemps désirée. Dans cette courte pièce on reconnaît déjà la manière de Carmen ou de Matéo Falcone, les actes nous révèlent la passion qui agite les cœurs. Ce drame chinois, pour le faire illyrien, Mérimée s’adresse à Fortis; grâce aux renseignements qu’il

i Foreign Quarterly Review, juin 1828, pp.. 662-671.