"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

UNE INSPIRATION CHINOISE.

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trouve dans le Voyage, il répand sur son poème une couleur toute superficielle, il est vrai, mais qui ne nous en transporte pas moins dans un autre monde : monde de fantaisie, Illyrie peu différente de celle de Nodier, mais qui se transformera plus tard en une Illyrie plus originale sinon plus véritable. C’est chez Fortis qu’il trouve le détail delà chemise ensanglantée : Si les amitiés des Morlaques, non corrompus, sont constantes et sacrées, leurs inimitiés ne sont pas moins durables et presque indélébiles. Elles passent de père en fils, et les mères n’oublient jamais d’inculquer, déjà aux enfants de bas âge, le devoir de venger un père tué, et de leur montrer souvent, à cet effet, la chemise ensanglantée, ou les armes du mort. La passion de la vengeance s’est si fort identifiée avec la nature de ce peuple, que toutes les exhortations du monde ne pourraient pas la déraciner L Dans une note car les notes ont une grande importance : ce sont elles qui nous révèlent d’une façon plus précise où Mérimée puise sa science il emprunte, à peu de'chose près, le texte même de Fortis :

Fohtis : Ce peuple se sert d’un proverbe familier, qui n’est que trop accrédité : Ko ne se osveti, onse neposveti, qui ne se venge pas, ne se sanctifie pas. Il est remarquable que dans la langue illyrienne, osveta signifie également vengeance et sanctification.

Mérimée : La vengeance passe pour un devoir sacré chez les Morlaq.ues. Leur proverbe favori est celuici : Qui ne se venge pas ne se sanctifie pas. En illyrique, cela fait une espèce de calembour : Ko ne se osveti onse ne posveti. Osveta, en illyrique, signifie vengeance et sanctification 2 .

Ici Mérimée suit si fidèlement le Voyage, qu’il reproduit deux fautes typographiques. En réalité, il faut lire : Ko se ne osveti, on se ne posveti. Les noms de personne, s’ils ne sont tous

1 Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 88-89. 2 Ibid. La Guzla, p. 26.