"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE IV.

mauvais œil l’envoyé du « Grand Napoléon » ; une mutuelle méfiance séparait les « Frantzousi » des gouvernants du pays et, pendant un certain temps, le consul n’osa sortir de sa maison; c’est pourquoi ChaumelteDesfossés n’emporta pas un très bon souvenir de Travnik; aussi quelques inévitables exagérations ne doivent-elles pas étonner dans son livre. Voici du reste la peinture qu’il fait des Bosniaques : La chose qu.i frappe le plus l’Européen arrivant en Bosnie, c’est l’abord dur et les regards farouches des habitants de Bosna-Séray, de Travnik et des villes de confins. La situation de cette province, frontière des états de l’empereur d’Autriche et de ceux de Venise, avec lesquels elle était habituellement en guerre, avait rendu les Bosniaques très méfiants vis-à-vis de ceux qui se présentaient sur leur territoire. Tout étranger qui s’arrêtait plus de trois jours dans un endroit, sans en avoir ]a permission des autorités turques, était pendu comme espion ; et, ce qui prouve l’inhospitalité des naturels, c’est que, quoique beaucoup d’entre eux soient intéressés dans le commerce des marchandises qu’ils tirent d’Allemagne ou de Dalmatie, aucun négociant de ces derniers pays n'a jamais osé s’établir chez eux. Le commerce d’échange se fait par des marchés, établis sur les frontières, à des jours fixés dans chaque semaine. Au reste, cette férocité des habitants paraît moins extraordinaire à celui qui connaît leur manière de se nourrir. Leur régime se compose principalement de crudités, d’aliments salés et d’eau-de-vie : toutes choses très propres à exciter l’effervescence e t l’àcreté du sang. Quand un Bosniaque se lève, il commence par boire un grand verre d’eaude-vie de prunes sauvages (slibovitç). Un peu avant le dîner, il en boit au moins deux autres, en mangeant des pâtisseries. Pour étouffer la chaleur épouvantable que cette boisson lui donne à l’estomac, il dévore son potage à l’oignon et aux navets, coupés par petits morceaux, et sans pain ; son ragoût horrible de viande de mouton fumée grossièrement (paçterma), et ses choux aigres. On sert ensuite une copieuse soupe aux haricots ; et le repas finit par un renouvellement de boisson d’eau-de-vie. Tel est le dîner habituel dans la mauvaise saison. En été, les Bosniaques ne vivent presque que de melons d’eau, de concombres, etc., qu’ils mangent crus. C’est mettre de la cérémonie dans un festin que d’y servir un agneau rôti à la manière turque, c’est-à-dire tout entier, et farci de riz avec les intestins hachés. Les naturels boivent peu d’eari. Ils prétendent que sa crudité occasionne des coliques, donne des goitres et fait tomber les dents : ce qui peut être vrai pour les eaux de source. C’est apparemment pour