"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE IV.

les sabres et les chevaux qui parlent sont frequents dans les ballades des klephtes 1 . » Comme le cheval de Vévros, le cheval de Thomas II a des fers d’argent; il est vrai que tous les chevaux que chante la poésie populaire ont tous, ou à peu près tous, des fers d’argent, une parure recherchée 2 : ces nobles bêtes aiment le panache. Toutefois l’on peut dire que, guidé par Fauriel, Mérimée approche, autant que faire se pouvait, du véritable esprit de la poésie populaire en général et de la poésie populaire serbe en particulier. Voici, par exemple, le commencement d’une pièce intitulée la Mort de Mar ko Kraliévitch : Marko Kraliévitch était parti de bonne heure, un dimanche; avant le lever du soleil, il était au pied du mont Ourvina. Tandis qu’il le gravissait, Charatz, sous lui, commença à chopper, à chopper et à verser des larmes. Cela causa à Marko un grand trouble : « Qu’est cela, Charatz? dit-il; qu’est-ce, mon bon cheval? Voilà cent cinquante années que nous sommes ensemble; jamais encore tu n’avais bronché, et voilà que tu commences à broncher et à verser des larmes ! Dieu le sait, il n’arrivera rien de bon; il va y aller de quelque tête, soit de la tienne, ou de la mienne. » Marko ainsi discourait, quand la Vila s’écrie du milieu de la montagne, appelant Marko : « Mon frère, dit-elle, Marko Kraliévitch, sais-tu pourquoi ton cheval bronche ? Charatz s’afflige sur son maître, car vous allez bientôt vous séparer. » Mais Marko répond à la Vila : « Blanche Vila, puisse ton gosier devenir muet ! Comment pourrais-je me séparer de Charatz, quand j’ai parcouru la terre à ses côtés, que je l'ai visitée de l’orient à l’occident, et qu’il ne s’y trouve point un meilleur coursier ni un héros qui l’emporte sur moi ? Je ne pense point quitter Charatz, tant que ma tête sera sur mes épaules. Mon frère, reprend la blanche Vila, personne ne l’enlèvera Charatz ; et pour toi, tu ne peux mourir, ni de la main d’un guerrier, ni sous les coups du sabre tranchant, de la massue ou de lalance de guerre ; car

1 Revue contemporaine, 31 décembre 1854, p. 239. 2 Fauriel, Chants populaires de la Grèce moderne, t. I, p. 139 ; t. 11, p. 141 ; etc. Voir aussi le mot : horse dans l’index alphabétique de l’ouvrage suivant : English and Scottish Popular Ballads, edited by F. J. Child, Boston, 1884-1898, 5 vol. in-4».