"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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' CHAPITRE V.

Voyons maintenant, au cours du récit lui-même, comment Mérimée, pour donner à son poème plus de couleur locale, sait mêler, à d’autres inspirations plus poétiques, les documents qu’il doità Fortis.il a fait pour les Bi'aves Heyduques ce qu’il avait fait pour l’Aubépine de Veliko, mais cette fois-ci le Dante a fourni le fond de l’histoire ; Mérimée s’inspire de l’épisode du comte Ugolin. De la tour du Dante, il transporte la scène dans une caverne car les cavernes sont les repaires des heyduques, nous apprend Fortis. Du reste voici les textes :

L'Enfer, chant XXXIII : Déjà ils étaient réveillés, et l’heure approchait où l’on nous apportait notre nourriture, et chacun de nous tremblait de son rêve, quand j’entendis clouer sous moi la porte de l’horrible tour ; alors je regardais fixement mes enfants sans prononcer un mot. Je ne pleurais pas ; mon cœur était devenu de pierre. Ils pleuraient, eux, et mon Anselmuccio me dit : Tu me regardes ainsi, père, qu’as-tu?

Cependant je ne pleurais pas, je ne répondis pas, tout qe jour ni la nuit suivante, jusqu’à ce que le soleil se leva de nouveau sur le monde. Comme un faible rayon se fut glissé dans la prison doulou-

La Guzla, pp. 67-69 : Dans une caverne, couché sur des cailloux aigus, est un brave heyduque, Ghristich Mladin 1 . A côté de lui est sa femme, la belle Catherine, à ses pieds ses deux braves fils. Depuis trois jours ils sont dans cette caverne sans manger ; car leurs ennemis gardent tous les passages de la montagne, et, s’ils lèvent la tète, cent fusils se dirigent contre eux. Ils ont tellement soif que leur langue est noire et gonflée, car ils n’ont pour boire qu’un peu d’eau croupie dans le creux d’un rocher. Cependant pas un n’a osé faire entendre une plainte, car ils craignaient de déplaire à Ghristich Mladin. Quand trois jours furent écoulés, Ca-

1 Le nom de Christich Mladin est un nom serbe des plus authentiques. Pourtant Mérimée ne le tient ni de Fortis, ni de ChaumetteDesfossés, mais d’une source où il avait très peu puisé, et qui est restée inconnue jusqu’au] ourd’hùi, du Voyage Pittoresque de l’lstrie et de Dalmatie, rédigé d’après l'itinéraire de L. F. Cassas, par Joseph Lavallée, Paris, 1802. Ce nom se trouve à la page 37.