"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE V.

Est-il besoin de dire que ce n’est pas Mérimée qui a inventé ce genre de poésie? L’improvisation funèbre qui se débite dans la maison mortuaire, et non pas à l’enterrement, près du corps du défunt, est une coutume qui paraît avoir été commune à toute l’humanité et qui subsiste toujours chez les Slaves, en particulier chez les Serbo-Croates. C’est le vocero, qui n’est pas exclusivement corse et dont Fortis parle ainsi au chapitre consacré aux funérailles des Morlaques : Pendant qu’un mort reste encore dans la maison, sa famille le pleure déjà... Dans ces moments de tristesse, les Morlaques parlent au cadavre et lui donnent sérieusement des commissions pour l'autre monde... Pendant la première année après l’enterrement, les femmes morlaques vont faire de nouvelles lamentations sur le tombeau du mort... Elles lui demandent des nouvelles de l’autre monde et lui adressent souvent les questions les plus singulières l . En 1788, comme on a pu le voir déjà, ce passage avait inspiré le vocero illyrique de la comtesse de Rosenberg ; mais ni elle, ni Mérimée, cela va sans dire, n’ont réussi à mettre plus de « couleur locale » dans leurs compositions que ne le permettaient les renseignements assez vagues donnés par l’abbé Fortis et que nous venons de citer. Dans ce chant, Mérimée a commis une très grave erreur que les folkloristes ne lui pardonneront pas. Les voceri ne sont jamais débités par les hommes : surtout par un ancien heyduque! c’est une occupation et aussi une profession réservée aux femmes. Il en est ainsi en Illyrie, comme l’a fort bien dit l’auteur du Voyage en Dalmatie; il en est de même en Corse, nous assure A, Fée 2 . Cependant Maglanovich, ce vieux bravé, fait paraître

1 Viaggio in Valmazia, t. I, pp. 94-95. 2 A. Fée, Voceri, chants populaires de la Corse-, Strasbourg, .1850,