"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE V.

xviii 0 siècle, idéaliste, Fortis s’était particulièrement enthousiasmé pour cette Illyrie quasi arcadienne que nulle influence étrangère n’avait encore gâtée. C’est ainsi qu’il consacre à la vie intime de ses habitants une très large place dans son chapitre des Mœurs morlaques. On ne trouve pas tous les renseignements désirables dans ces pages éloquentes de sincérité sinon de vérité. On y rencontre aussi, nous l’avons dit, plus d’une exagération, involontaire mais inévitable chez un voyageur qui par malheur n’a visité qu’une province, un peu particulière, du pays dont il avait voulu peindre les moeurs. Enfin, son ignorance de la langue lui enlevait la plus riche source d’informations à ce sujet : la poésie populaire que Karadjitch appelle « féminine », c’est-à-dire domestique, poésie aussi profondément réaliste que lyrique. Cette ignorance eut de fatales conséquences pour l’écrivain français qui voulut, à l’aide du Voyage en Dalmatie, reconstituer la vie intime des « primitifs » serbo-croates. En 1788, M me de Rosenberg, qui avait la sensibilité naturelle d’une femme et qui ne craignait pas de la manifester, souligna, même plus qu’il n’était nécessaire, cet esprit de famille, l’un des traits caractéristiques du peuple « morlaque ». En effet, dans son roman des Morlaques, malgré la sauvagerie dramatique de l’intrigue, l’idylle pleurnichante affaiblit très sensiblement la bonne volonté exotique de l’auteur. Nodier, bien que sentimental, n’insista jamais trop sur ce point. Mérimée sut-il être le poète de la famille illyrique? Il va sans dire qu’il chercha des renseignements chez son informateur italien ; il les trouva, ou plutôt il crut les avoir trouvés. Nous avons vu, du reste, qu’il s’en était servi en composant la biographie de son joueur de