"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE V.

Le fait est que la jeune fille serbe, comme, du reste, la jeune fille orientale, se distingue par une modestie qui va souvent jusqu’à la vraie sauvagerie : Fortis luimême avait noté que « à l’arrivée d’un étranger, les jeunes filles se cachent ou se tiennent dans l’éloignement s. Voici un exemple caractéristique qui peut donner une idée de la différence qui sépare le poème de Mérimée de la véritable poésie serbe : la Modeste Militza, poème dont nous empruntons la traduction à M. Achille Millien - on sait que le poète de la Moisson est un folkloriste distingué; si la forme n’est pas respectée, le fond est reproduit avec un rare bonheur et l’impression que nous donne la traduction est à peu près la même que celle que donnerait l’original : Les longs cils, Militza, dont s’ombrage ta joue, Recouvrent tes beaux yeux. En vain j’ai regardé : Depuis plus de trois ans, je n’ai pu, je l’avoue, Voir à mon gré ces yeux qui m’ont affriandé. Pour les voir, j’assemblai la ronde du village ; Elle en était aussi, la blonde Militza. Les filles dansaient donc en rond sous le feuillage, Un nuage soudain sur nos fronts s’embrasa. Dans le ciel un éclair, puis un autre, étincelle; Toutes lèvent alors les yeux au firmament ; Mais seule, Militza regarde devant elle Et tient ses beaux yeux noirs voilés modestement. Elle tient ses beaux yeux inclinés, et chacune Des fillettes demande alors avec douceur : « Es-tu folle, ou plutôt, sage comme pas une, Sage par-dessus tout, Militza, notre sœur ? « Tu restes là, les yeux fixés sur l’herbe verte, Au lieu de les lever comme nous vers les cieux, Où la sombre nue est incessamment ouverte, Par l’éclair qui la fend en sillons radieux! » « Folle, je ne le suis, ni sage entre les sages, Dit-elle, et je ne suis la Vila dont la loi Régit, grossit, assemble et pousse les nuages : Je suis fille et je vais regardant devant moi. »