"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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chapitre v.

variété dans le recueil. Mérimée a senti qu’il nous avait trop promenés à travers les montagnes escarpées, aussi a-t-il jugé convenable de nous mener nous rafraîchir quelque peu au bord de la mer. Ce petit poème assez gracieux jette dans le recueil une note nouvelle; il complète la série des couleurs sous lesquelles l’auteur de la Guzla s’est plu à imaginer l’lllyrie; couleurs chatoyantes et diverses où se mêlent des cléments turcs, byzantins et enfin vénitiens. Nous aurons l’occasion de voir dans la suite qu’il est fait dans la Guzla plusieurs fois allusion à Venise, mais dans aucune de ces pièces il n’y a songé aussi exclusivement que dans celle-ci. Pisombo, pisombo ! la mer est bleue, le ciel est serein, la lune est levée et le vent n’enfle plus nos voiles d’en haut. Pisombo, pisombo ! Venise commençait à devenir fort à la mode; le séjour qu’y avait fait Byron avait rendu célèbre la pittoresque ville des doges, des sbires, des gondoliers. La barcarolle avait fait une fortune rapide. En 1825, les Annales romantiques en publièrent une d’Ulric Guttinguer, dont les premiers vers ressemblent quelque peu au premier couplet de celle de Mérimée : Embarquez-vous, qu’on se dépêche, La nacelle est dans les roseaux ; Le ciel est pur, la brise est fraîche, L’onde réfléchit les ormeaux 1 . Nous ne savons si celle de Mérimée est un pastiche de quelque barcarolle vénitienne incontestable. Toutefois le genre était assez facile et devait tenter un écrivain peu inventif; il ne faut pas beaucoup d’imagination, en effet, pour parler agréablement de l’eau, du ciel, du vent léger qui souffle dans les voiles, du plaisir qu’on éprouve

1 Annales romantiques, 1825, pp. 306-307.