"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES SOURCES : THÉOCRITE.

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l’était la Sicile de Théocrite ; d’aèdes et de citharistes devenus joueurs de guzla, comme l’était la Grèce d’Homère : « Qu’il laisse à d’autres, plus habiles que lui, l’honneur de charmer les heures de la nuit, en les faisant paraître courtes par leurs chants » (p. 174), ad strepitum citharæ cessatum ducere somnum 1 . Ou ce passage : « Je gardais mes chèvres... et les cigales chantaient gaiement sous chaque brin d’herbe, car la chaleur était grande » (p. 239), qui fait penser à Théocrite : « Et dans les rameaux touffus les cigales brûlées D par le soleil chantaient à se fatiguer. » {ldylle VII.) Le bey Marnavich qui « se plaît dans les cavernes qu’habitent les heyduques », fait un peu songer à Gallus sola sub rupe jacentem (Virg., Egl. X.), plus loin àlo, l’infortunée lo de la mythologie : « Il court çà et là comme un bœuf effrayé par le taon. » {La Guzla, p. 119.) « Dis-moi en quel lieu de la terre erre la malheureuse lo ; le taon me pique à nouveau infortunée... » (Eschyle, Prométhée, v. 566 sq.) Sans- doute, nous ne voudrions pas prétendre que Mérimée a pensé en effet à tout ce à quoi son livre nous fait songer, mais il nous semble qu’il y a là des rapprochements en assez grand nombre pour pouvoir dire, même s’ils ne sont pas tous très probants, que Mérimée, en composant la Guzla, s’est souvenu dans une certaine mesure de ses études classiques 2 . En somme, ce qu’il faut ici remarquer, c’est que le romantisme de l’auteur des ballades illyriques est d’une nature toute spéciale. Mérimée supplée à son manque

1 Horace, Épîtres, I, 2, v. 31. 2 A notre prière, M. A. Kossowski a voulu bien revoir et compléter ce paragraphe.