"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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administrateurs groupés autour du gouverneur général, d’autres fonctionnaires, Italiens en grande partie, mais aussi Croates, Dalmales et Istriens, des seigneurs allemands et des chefs slavons, et jusqu’à des évêques grecs ou italiens, jusqu’à des chefs de pandours albanais, jusqu’à des envoyés de pachas voisins, créaient aupalais du gouverneur une cour disparate, originale et assez brillante où se sentait un vague goût d’Orient mêlé aux élégances du faubourg Saint-Honoré ; où des auditeurs frais émoulus du Conseil d’État coudoyaient des chanoinessesautrichiennes, des officiers vénitiens, des chefs auxiliaires croates, des prélats orthodoxes et des ambassadeurs monténégrins et bosniaques. Des fêtes assez fréquentes égayaient cette cour hétéroclite; le Télégraphe illyrien en faisait dans le style bien connu de ]a presse impériale d’emphatiques comptes rendus. Le lycée où professaien t des maîtres de l'Université impériale, ouvrait ses portes au gouverneur général pour de solennelles distributions de prix ; de jeunes Dalmates y' composaient en latin l’éloge du grand Napoléon, comme le devaient faire, à la même heure, en d’autres lycées, de jeunes Bretons et de jeunes Hollandais 1 ; le proviseur haranguait les « jeunes Illyriens » sur le style de Fontanes, croyant faire à la couleur locale une suffisante concession en soutenant, contre toutes les vraisemblances géographiques, qu’ils pouvaient, du haut de leurs montagnes, apercevoir le Pinde et les Thermo-

1 Le 26 juillet 1812, le Moniteur annonçait que «la langue française étant devenue la langue du gouvernement et celle de l’armée, il vient d’être pris des mesures pour que les habitants des villes illyriennes soient à même d’étudier cette langue. On a donc établi des chaires de français dans tous les collèges de l’lllyrie ». Pourtant, l’intendant d’lstrie se plaignait au gouvernement général de ce que « l’instruction ne fût pas adaptée ni aux localités, ni aux mœurs des habitants ». (Madelin, op. cil.')